Zéro de conduite

France (1933)

Genre : Récit initiatique

Écriture cinématographique : Fiction

Collège au cinéma 2002-2003, École et cinéma 2008-2009

Synopsis

Les vacances sont finies, c’est la rentrée. Dans un compartiment de chemin de fer, deux collégiens se montrent leurs trouvailles des vacances.

Au collège où ils sont pensionnaires, les punitions pleuvent, qu’elles viennent du Surveillant Général ou du pion, Pète-Sec. Dans la cour de récréation, trois élèves complotent. Très vite, le nouveau surveillant, Huguet, au visage lunaire, protège tant qu’il peut les gamins turbulents, fait le poirier sur le bureau de la salle d’études, perd sa troupe en promenade…

Le Principal s’inquiète des relations affectives qui se sont établies entre le jeune Bruel et Tabard, un garçon à l’air de fille. Mis en garde par le Principal, ce dernier se rebelle en lançant deux retentissants “merde” à l’adresse du professeur de chimie aux caresses douteuses, puis au Principal lui-même.

Après une bataille de polochons suivie d’une étrange procession onirique, au cours de laquelle Tabard, qui mène désormais la conjuration, a lu une proclamation révolutionnaire, la bande des quatre se prépare à l’action.

Lors de la fête du collège où se sont joints aux autorités du collège le curé et le préfet, ils bombardent ces dignitaires du toit de l’école, et remplacent le drapeau tricolore par celui de la piraterie et de l’anarchie.

Distribution

Peut-on vraiment parler de personnages à propos de Zéro de conduite ? D’abord parce que ces êtres ressemblent à des fantômes, et pas seulement dans la scène de la procession, mais tout autant lorsque le Surveillant Général s’introduit dans la salle de classe ou observe les élèves de la fenêtre. Ces silhouettes hantent le film de Vigo comme les figures fantomatiques du Vampyr de Carl Th. Dreyer (1932)…
Ensuite parce que, même si on l’ignore, ces personnages semblent bien surgis de souvenirs d’enfance et y être encore attachés, entre vie et rêve, existence réelle et caricature…

Le Surveillant Huguet (interprété par Jean Dasté)

Totalement hétérogène, il appartient aux différentes catégories. Fantôme lui aussi, puisque Bruel et Caussat le prennent pour un mort dans le compartiment du début, mais il ressuscite. Caricature sur le quai, lorsqu’il s’avance ahuri, encombré de façon burlesque par ses bagages, se présentant auprès de Pète-Sec comme le nouveau surveillant. D’où vient-il ? D’une famille peu aisée sans doute, mais aussi d’un film de Charlot dont il s’amuse à imiter à la perfection la silhouette et la démarche. Huguet est de toute évidence du côté des enfants, surtout des comploteurs. Sa démonstration de poirier dessinant sur le bureau renvoie aux collégiens tentant de s’épater l’un l’autre avec les trouvailles des vacances. Lorsqu’il surveille, c’est par magie que son autorité est respectée, comme lors de la promenade où la troupe se reforme d’elle-même. Ses incartades sont ignorées au-delà de toute vraisemblance… Mais Huguet agit également en passant du côté des élèves et en se détachant du groupe qui harcèle Tabard, de même à la fin, lorsqu’il regarde avec chaleur les mutins sur le toit et ne participe pas à la chasse aux rebelles. Burlesque, personnage de cartoon – le dessin qui s’anime et l’irréalisme de cette position sur une seule main y renvoient –, Huguet se révèle également un être humain à part entière lorsqu’il suit la jeune femme dans les rues de la ville entraînant sa petite troupe dans une drague effrénée.

La bande des quatre

À une première vision, les mutins paraissent former un seul groupe, tout au moins Caussat, Bruel et Colin. Tabard est donné comme différent : fragile, couvé par une mère riche et angoissée, timide, pour les autres, pour Caussat en particulier, c’est “une fille”. La musique de Jaubert, la chanson entonnée par les mutins renforcent l’effet de groupe. Pourtant ils sont individualisés et jamais réduits à une caractérisation simpliste.

Caussat est le chef des mutins, celui qui conseille à Colin lorsqu’il a mal au ventre près du lit de Pète-Sec de ne pas s’occuper de “cet imbécile-là”, celui que refuse d’abord la “fille” parmi les comploteurs. Mais lorsqu’il est chez son correspondant, c’est la fillette de ce dernier qui l’oblige à garder les yeux bandés pendant qu’elle suspend le bocal de poissons rouges…

Bruel est celui sur lequel nous avons le moins de précisions, si ce n’est sa fragilité intestinale. Fanfaron auprès de Caussat dans le train, il est à l’évidence en manque affectif, qu’il comble par sa relation avec Bruel. C’est aussi lui qui, le dimanche, arrache Colin à l’antre de la Mère Haricot.

Le dernier mutin, Colin, est le plus fruste. Au collège parce qu’il est le fils de cette dernière, privé de sortie le dimanche parce qu’il est chez lui. Brimé par sa mère lorsqu’il proteste contre les “zharicots”, il fond en larmes lorsque tous ses camarades se révoltent contre le régime alimentaire qu’ils imputent à la cuisinière…

Les autorités

Du banal mais mystérieux Bec-de-Gaz au Préfet, représentant du pouvoir, enseignant, politique ou religieux, est réduit à une caricature. Le directeur est quelqu’un qui se prend pour un “grand” homme lorsqu’il se regarde dans un miroir ; le Surveillant Général est gourmand, voleur, rusé et pervers ; Pète-Sec jouit de son pouvoir discrétionnaire de donner des zéros de conduite et des consignes, mais a le sommeil profond pour un “surveillant”… Le professeur de chimie, M. Viot, si “magnanime” selon le directeur, est gras, malodorant – il sent des aisselles –, attiré par la blondeur et la chair tendre de René Tabard. Le Préfet n’existe que par son costume chamarré et son bicorne, et par la répétition de “Monsieur le Préfet… Monsieur le Préfet…”, le curé par sa bible et sa soutane, au point que, dans la rue, Huguet le prend un moment pour une femme…

Générique

Producteur d’origine : Gaumont Franco Film Aubert
Distributeur d’origine : Gaumont Franco Film Aubert
Détenteur des droits actuel : Gaumont
Distributeur actuel : Gaumont
Réalisation : Jean Vigo
Scénario et dialogues : Jean Vigo
Assistants-réalisateurs : Albert Riéra, Henri Storck, Pierre Merle
Dir. Photo : Boris Kaufman, assisté de Louis Berger
Régisseur administrateur : Henri Storck
Ingénieurs du son : Royné et Bocquet
Montage : Jean Vigo
Musique : Maurice Jaubert
Paroles des chansons : Charles Goldblatt
Interprétation :
Surveillant Huguet / Jean Dasté
Surveillant « Pête-Sec » / Robert le Flon
Le Principal / Le Nain Delphin
Surveillant généraldit (« Bec-de-Gaz ») / Blanchar (Du Verron)
M. Viot, prof. de chimie / Léon Larive
Le Préfet / Louis de Gonzague-Frick
Le curé / Henri Storck
La mère Haricot / Madame Émile
Un veilleur / Albert Riéira
Le Correspondant / Louis Berger
Pompiers / Rafa (Rafaël) Diligent, Félix Labisse, Georges Patin, Georges Vakalo
Les enfants :
Caussat / Louis Lefebvre
Colin / Gilbert Pruchon
Tabard / Gérard de Bédarieux
Bruel / Constantin Kelber (Coco Goldstein)
La petite fille au poisson rouge / Michelle Fagard
et autres enfants :
Georges Belmer, Émile Boulez, Maurice Cariel, Jean-Pierre Dumesnil, Igoor Goldfarb, Lucien Lincka, Charles Michiels, Roger Porte, Jacques Poulain, Pierre Regnoux, Ali Ronchy, Georges Rougette, André Thille, Pierre Tridon, Paul Vilhem.
Film : Noir & Blanc (1 x 1,37)
Première projection : 7 avril 1933, au cinéma Artistic, rue de Douai, à Paris (interdit)
Date de sortie : Novembre 1945 (sous réserves)
N° de visa : 1 808 (15/02/1946)
Durée : 42 minutes

Autour du film

Les corps rebelles

Le collège de Zéro de conduite n’a rien de “naturaliste”, malgré l’aspect documentaire des premières séquences : arrivée en gare, dortoir, cour de récréation, salle d’études… On ne voit qu’une seule classe dans cet établissement et bien trop de pions pour le nombre d’élèves. Même en cours de chimie, le professeur n’enseigne rien, puisque, par une de ces ellipses dont le film est truffé, on passe directement de son installation au bureau au moment où il suggère à Tabard de prendre des notes : de notes sur quoi ? Si le film tient un quelconque discours, ce n’est ni sur les méthodes d’enseignement ni sur l’autorité en soi.

Ce qui frappe très vite dans le film, c’est l’opposition radicale que Vigo établit entre le monde des enfants et celui des adultes, la poussant au schématisme assumé. Vigo envisage l’enfant avant tout comme un corps. Vigo multiplie les images ou situations que d’habitude on cache : fesses dénudées d’un dormeur, enfant saisi aux cabinets, coliques de Bruel, sexe dévoilé d’un adolescent… De l’autre côté, les corps adultes : atrophiés (le Principal), débordants (la Mère-Haricot), suant (Viot), gourmands et étirés à l’excès (le Surveillant Général, dit Bec-de-Gaz), vaincus par la fatigue (Pète-Sec), aveugles (le veilleur de nuit)… Tout est à la fois, chez les enfants, hantise et désir de vaincre ces corps surabondants qui les dominent. Des corps d’adultes déjà sur la pente descendante qu’ils deviendront un jour, mais qu’ils refusent, face auxquels ils opposent leur beauté gracile, leur agilité, leur fraîcheur, leurs sourires et sentiments complices. Quelques gros plans échangés lorsque Bruel plaide auprès de Caussat la cause de Tabard proposé par Colin pour entrer dans la conspiration ne dépareraient pas quelque film de Pasolini et ses « ragazzi », le goût du malsain en moins, mais à peine.

Avant d’être politique, la révolte des enfants de Zéro de conduite, et c’est la force et la puissance étrange du film, est une révolte de corps, individualisés mais aussi réunis. La révolution, ce n’est pas seulement le passage à l’acte par la violence, comme les bombes de l’anarchie que Vigo ne posa jamais, à la différence d’un père qu’il admirait pourtant. C’est la réunion de quelques êtres contre quelque chose (une société ressentie comme insupportable), quelques-uns uns (des autorités absurdes, des figures de jeu de massacre), des corps qui se rassemblent plus que des idées. Importe le geste plus que la parole : les quatre sont sur le toit en marche vers l’espace et le ciel, les autorités (à l’exception de Huguet) enfermées dans le grenier, sont incapables de franchir le pas vers la liberté.

La résonance affective des plans

Chaque séquence, parfois chaque plan constitue une cellule autonome. En fait, chaque plan, comme chaque séquence, de Zéro de conduite a sa couleur et son propre son : la musique donne à l’image un retentissement qui ne relève ni du contrepoint ni de la redondance. Le dialogue y a sa part. La répétition des bribes de quelques mots sans signification parfois, ou rendus insignifiants par ces répétitions, change la tonalité du plan. Ainsi lorsque Caussat, lance les représailles contre le Bec-de-Gaz : “Donne ton pot de colle… Donne ton pot de colle… Pot de colle…” Vigo ne filme pas directement une histoire, mais des instants, des images qu’il fait résonner, jouant exclusivement sur leur puissance affective et émotionnelle. Là se situe la seule véritable poésie à l’écran, celle de Truffaut, de Cocteau, de Pialat…
Joël Magny, dossier Collège au cinéma, n° 128

Un Céline du cinéma

“Une œuvre exceptionnelle que l’on va siffler et discuter… Un film dont on ne comprend pas qu’un grand circuit commercial se soit assuré la distribution. Haineux, violent, destructeur, rancunier, il semble gonflé de toute l’amertume que son auteur doit garder d’un misérable passé de pensionnaire. Infecté de grossièretés, nocif et âpre, il stigmatise les pédagogues vicieux et bornés et chante avec désespoir un hymne à la liberté. Photographie confuse et mauvaise, qui ajoute à l’angoisse de l’histoire. Œuvre ardente et hardie. M. Jean Vigo en est l’auteur : un Céline du cinéma.”
Pierre Ogouz, « Marianne », 1933

Des enfants vrais et directs

“…Zéro de conduite est un film ravissant. Ne croyez pas à un film noir. Gai, au contraire, avec des gags éclatants, une incroyable et éclatante richesse d’invention, ce qui est rare en France. […]Zéro de conduite est un film charmant comme sont charmants tous les souvenirs d’enfance, même tristes. Les enfants n’y sont pas mignons tout plein, mais vrais et directs, bourrés de défauts et de vertus, comme tous les enfants. On connaît peu d’œuvres sur la jeunesse qui réussissent aussi bien à émouvoir sans chercher à attendrir. […] Jean Vigo […] prend les enfants dans leur vie de chaque instant, et non pas dans leurs récréations. Dans leur vie intérieure surtout.”
Pierre Bost, « L’Écran français », 1945

La vérité de la peau

“La force du motif charnel et sexuel est plus évidente chez Vigo que chez Stroheim, où elle naît des intentions de l’auteur plus que de l’attitude, – ou que chez Chaplin, où elle est dissimulée au maximum sous le langage des symboles […]. Chez Vigo, la suggestion de la chair est précise : elle naît des corps nus ou demi-nus, découverts ou tatoués, plongés dans l’eau ou lancés dans une lutte sportive. C’est le seul cinéaste qui aurait été capable de faire un documentaire sur le corps humain ; le premier qui ait tenté d’élaborer artistiquement la vérité de la peau. […] Et de la même manière que Stroheim voyait dans une infirme hideuse « l’horreur », Chaplin et Vigo identifiaient le nain [celui de Zéro de conduite, comme celui du groupe des gardes de Carmen ou qui commande les officiers allemands de Charlot soldat] à une sorte de ‘méchant’, atteint d’une infirmité honteuse, et à qui n’était pas permise la beauté d’un véritable corps humain.”
Mario Verdone, « Filmcritica », 1960.

Vidéos

Insurrection au dortoir – le choc visuel des pelochons éventrés

Catégorie :

« Dortoir (bis) »
par Pierre Gabaston

Pistes de travail

  • Personnages1. Décrire les principaux personnages.
    2. Comment sont montrés les enfants ?
    3. Comment sont montrés les adultes ?
    4. Quelle est la place du surveillant Huguet entre ces deux groupes ?
  • Réalisme et fantaisie5. Relevez les aspects étranges de ce collège. (Une seule salle de classe, un nombre important de pions pour quelques élèves, rien de l’enseignement dispensé, même dans le cours de chimie, comportement étrange du Surveillant Général, attitude du Principal, nain…)
    6. Relevez les séquences qui vous paraissent relever de la description documentaire. (L’arrivée le soir en train, le dortoir, la cour de récréation, la salle d’études…).
    7. Relevez les séquences qui relèvent de l’irréalisme, du rêve, de l’imaginaire (le discours du Principal à Tabard, la procession, le dessin d’Huguet faisant le poirier sur la table qui s’anime…).
    8. Quelles séquences ou images se situent entre les deux ? (La visite de Caussat chez son correspondant, par exemple, la fête de l’école avec une part des présents représentés par des figures peintes).
  • L’espace9. Décrivez les principaux espaces du film (compartiment de train, salles de classe, d’études, cour de récréation, rues de la ville, grenier et toit du collège).
    10. Quelle impression donnent-ils ? (Enfermement, étouffement, liberté…)
  • La caméra11. Montrer dans une séquence comment la caméra adopte et fait adopter au spectateur le point de vue des élèves, puis celui du principal, avant de prendre un peu de recul pour donner de l’importance à Tabard.
  • La construction du film12. Sur quelle durée, selon vous, se déroule le film ?
    13. Repérez les séquences qui se suivent nécessairement, d’une heure à l’autre, d’un jour à l’autre.
    14. Repérez les passages où il est impossible de déterminer le temps qui sépare deux séquences.
    15. Y a-t-il de telles ellipses à l’intérieur de certaines séquences ? (Le cours de chimie où, à peine installé, Viot demande à Tabard pourquoi il ne prend pas de notes).
    16. Y a-t-il pourtant une montée dramatique ?
  • Le corps17. Comment sont montrés les corps des enfants ? Ne voit-on pas parfois ce que la plupart des films ne montrent pas ?
    18. Quelles fonctions naturelles du corps sont montrées dans le film ? (Colique de Bruel, W-C, urinoirs, gourmandise du Surveillant général, haricots (réputés pour leurs effets intestinaux…).
    19. Comment sont montrés les corps des adultes ? Le Principal, Pète-Sec, Bec-de-Gaz, La Mère-Haricot, Viot ?
    20. Situez le corps du surveillant Huguet dans ces diverses catégories.
  • La révolte21. Contre quoi se révoltent les quatre conjurés ? L’enseignement, l’autorité, l’excès d’autorité ?
    23. Suffit-il de se révolter contre toute autorité pour devenir adulte et trouver sa place dans la société ?
    24. Que signifie le drapeau brandi par les quatre à la fin du film ? (La piraterie, mais aussi l’anarchie. Le professeur peut expliquer en bref ce qu’est l’anarchisme, en référence au père de Vigo, Almereyda.Fiche mise à jour le 5 novembre 2004

Expériences

Un cas particulier dans l’histoire de la censure en France

Les cas d’interdiction totale de films en France, pour une durée plus ou moins longue, ne sont pas rares. C’est le plus souvent pour des raisons politiques, parfois de mœurs. Zéro de conduite a cette particularité d’avoir été interdit pour des raisons politiques dans un film dont le propos n’est pas directement politique, même s’il s’en prend aux « autorités » en général, durant seize ans, sous des gouvernements de tendances très opposées, avant même toute sortie et pratiquement avant même d’avoir été vu par une commission de censure ou de contrôle. L’Âge d’or, de Luis Buñuel est interdit plus longtemps encore, mais à la suite de « troubles de l’ordre public » (ce qui ne justifie évidemment pas ce long purgatoire).

On situe généralement la naissance de la censure en France en 1909 : le ministère de l’Intérieur demande aux préfets d’interdire des films qui circulent avec succès depuis trois ans montrant des exécutions capitales, d’abord reconstituées, puis filmées « in vivo ». En 1912, le maire de Lyon, Édouard Herriot, prend prétexte de cette circulaire pour interdire toute vue représentant des « actes criminels ». Le ministre a déjà interdit, lui, La Bande à Bonnot, de Victorin Jasset, et certaines villes, Fantômas et Les Vampires, de Louis Feuillade. En 1916, le ministre institue le principe du visa pour la circulation des films en France, attribué par une commission de contrôle constituée de fonctionnaires de la police. Elle refuse alors 146 films. Mais la censure des municipalités continue, en particulier contre Le Masque aux dents blanches, censé « fausser l’imagination des enfants ».

En 1919, le contrôle national passe au ministère de l’Éducation publique. Pour se rendre crédible, le ministre, Maurice Faure, interdit même des films ayant obtenu le visa, comme L’Homme du large, de Marcel L’Herbier (qui sortira amputé) ou Les Nuits de Chicago, de Josef von Sternberg. Les films sont interdits ou sortent coupés pour des raisons d’ordre moral ou sexuel, mais aussi politique, comme Les Nouveaux Messieurs, de Jacques Feyder, qui porte atteinte à la dignité parlementaire. Et bien sûr les films soviétiques, en particulier Le Cuirassé Potemkine, de S. M. Eisenstein.

En 1928, un visa est attribué par une Commission de contrôle qui attribue des visas. Elle est composée de seize fonctionnaires, huit représentants de la profession cinématographique et huit personnalités nommées en fonction de leurs “compétences spéciales”, choisies par le gouvernement parmi les membres de ladite profession. Le but est de préserver “l’ensemble des intérêts nationaux, et spécialement l’intérêt de la conservation des bonnes mœurs et traditions nationales”.

En 1933, la Commission de contrôle des films est rattachée à un Conseil supérieur du cinématographe : quatre-vingt-sept membres issus des grands ministères, quinze de l’industrie cinématographique. Officiellement paritaire, le travail est laissé à une “section permanente” parfois réduite à six membres. En fait, certains députés trouvent insuffisante cette censure qui avait accordé son visa à L’Âge d’or ou exigé des coupes dans Extase, de Gustav Machaty, interdit en Allemagne, sans les obtenir, et voudraient faire passer la censure sous l’égide directe du ministère de l’Intérieur.

C’est dans ce contexte que l’interdiction de Zéro de conduite est prononcée en août 1933. “Sous la pression des curés”, lit-on encore parfois. C’est pourtant des seules autorités gouvernementales qu’est venue la décision. Selon des propos prêtés à Jean Vigo, Edmond Sée, président de la commission, lui aurait confié : “Nous avons reçu une note de service nous intimant l’ordre de l’interdire Zéro de conduite avant même que mes collègues et moi ayons pu le voir…” Les attendus de la Commission sont provisoirement égarés, mais les témoignages indiquent les motifs de “dénigrement de l’instruction publique” et d’esprit “anti-français ». Tous les efforts de Jacques Louis-Nounez pour faire lever l’interdiction demeurèrent vains. Certes, la projection en ciné-clubs, auprès de membres adhérents, reste possible. Le film est néanmoins présenté normalement à Bruxelles, où Vigo prononce une conférence, “Présentation de Zéro de conduite”. Même sous le Front Populaire, des amis communistes de Vigo et sa femme Lydu n’arrivent pas à obtenir la levée de l’interdiction, qui n’interviendra qu’en 1945. Dès lors, commence la réhabilitation de Vigo, qui devient selon l’expression de Gilles Jacob sans sa revue « Raccords », “Saint Jean Vigo, patron des ciné-clubs”. Le film est découvert, parfois avec un parfum de scandale, en Italie, en Grande-Bretagne, aux États-Unis…

Le film entre dans la longue liste des interdictions. Passons sur celles qui tombèrent à l’arrivée des Allemands en 1939, reprises par le gouvernement de Vichy. Dans les années 50, les films soviétiques ou de propagande communiste sont sous haute surveillance. Les films évoquant le colonialisme ou les guerres coloniales françaises (Indochine, Algérie) seront également censurés (Le Rendez-vous des quais de Paul Carpita, Les Statues meurent aussi de Alain Resnais et Chris Marker, Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard, Octobre à Paris, film collectif sur la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. D’autres interdictions font date : La Religieuse de Jacques Rivette, Histoires d’A… , de Charles Belmont, Marielle Issartel. Après la loi « X » sur les films pornographiques, la censure s’exerce peu sur les films, sinon à travers les affiches ou des débats suscités par des ligues puritaines intégristes (Je vous salue, Marie de Jean-Luc Godard, La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese), ou des débats douteux qui servent surtout la publicité de films médiocres (Baise-moi de Virginie Despentes). Reste évidemment la censure économique qu’a déjà connue Vigo avec L’Atalante, mais c’est encore une autre histoire… (D’après Jean-Luc Douin, « Dictionnaire de la censure »)

Outils

Bibliographie

Jean Vigo, une vie engagée dans le cinéma, Luce Vigo, Ed. Cahiers du cinéma/CNDP, 2002.
L'Atalante, un film de Jean Vigo, ouvrage collectif sous la direction de Bernard Benoliel, Nathalie Bourgeois, Stéfani de Loppinot, Cinémathèque française / Pôle Méditerranéen d'Education Cinématographique, 2000.
Jean Vigo, Oeuvre de cinéma, Cinémathèque française/Lherminier, 1985.
Jean Vigo, Positif n° 7, 1953.
Jean Vigo, Paulo Emilio Salès Gomès, Ramsay Poche Cinéma, 1988.
Jean Vigo, Premier plan n° 19, 1961.
Jean Vigo, Etudes cinématographiques n° 51/52, 1966.
A pied d'œuvre, Jean-Claude Biette, Traffic n° 2, 1992.
La projection du monde, Stanley Cavell, Belin, 1999.

Vidéographie

L'Intégrale Jean Vigo. Distribution Gaumont (droits réservés au cadre familial)

Films

Scène rouge (2 versions) - Voyage organisé (Vol. 4) de Charles Picq
A propos de Nice de Jean Vigo
Années 20 ou le Temps de l'illusion (Les) de Claude-Jean Philippe
Jean Vigo ou la Fièvre de l'instant de Claude-Jean Philippe
Jean Painlevé au fil de ses films (3) de Hélène Hazera