Georges Franju, le visionnaire

Yeux sans visage (Les)

France (1959)

Genre : Fantastique

Écriture cinématographique : Fiction

Lycéens et apprentis au cinéma 2000-2001

Synopsis

Une femme jette dans la Seine le cadavre d’une jeune fille dont le visage est affreusement mutilé. Le docteur Génessier reconnaît formellement le corps retrouvé comme étant celui de sa fille Christiane, mystérieusement disparue. En vérité, Christiane n’est pas morte. Totalement défigurée dans un accident de voiture, elle vit cachée derrière un masque. Le docteur Génessier tente d’opérer sur le visage de sa fille une greffe en prélevant la peau du visage de jeunes femmes qui sont enlevées par son assistante, Louise. Ces folles expériences ont déjà fait deux victimes, mais se sont néanmoins soldées par un échec. Alors que son père va renouveler l’opération une troisième fois, Christiane, ne pouvant plus supporter tant d’atrocités, tue Louise, libère la nouvelle jeune fille captive, puis l’che les chiens qui servaient de cobayes au docteur. Les molosses déchaînés dévorent leur bourreau. Christiane, devenue folle, s’enfonce dans la forêt.

Générique

Producteur d’origine : Champs-Elysées Productions
Distributeur d’origine : Lux CCF
Détenteur des droits actuel : Gaumont
Distributeur actuel : Gaumont
Réalisation : Georges Franju
Scénario : adaptation du roman de Jean Redon par Boileau-Narcejac, Jean Redon et Claude Sautet
Dialogues : Pierre Gascar
Image : Eugen Schüfftan
Musique : Maurice Jarre
Décors : Auguste Capelier
Montage : Gilbert Natot
Effets spéciaux : Charles-Henri Assola
Interprétation
Docteur Génessier / Pierre Brasseur
Louise / Alida Valli
Edna Grüberg / Juliette Mayniel
Christiane Génessier / Edith Scob
Jacques Vernon / François Guérin
Paulette Mérodon / Béatrice Altariba
Inspecteur Parot / Alexandre Rignault
Deuxième inspecteur / Claude Brasseur
Durée : 1h35
Sortie à Paris : 2 mars 1960

Autour du film

Dans l’histoire du cinéma français, Les Yeux du visage brille comme un astre solitaire. Ceci est d’abord un fait objectif : Franju est un des seuls à avoir voulu donner au genre fantastique la place que notre cinéma, hélas, ne lui accorda jamais. On peut aimer Les Yeux sans visage pour cette simple raison, tout en n’oubliant pas que sa beauté ne s’y résout pas. Il faut en chercher le cœur dans la relation qui attache Franju à Edith Scob.
Les Yeux sans visage, en un sens, raconte la banale histoire d’amour d’un cinéaste et de son actrice. Mais Franju donne à cet amour une forme extraordinaire. Offrant à Edith Scob son premier grand rôle, il choisit, non pas d’exhiber sa beauté, mais de la dissimuler en faisant porter un masque au personnage de Christiane. Ainsi se met en place un des plus beaux détours qui se puissent imaginer. L’émotion ressentie par le spectateur à voir Edith Scob/Christiane, les sentiments contradictoires qui l’agitent face à l’éventualité de la guérison de la jeune femme viennent, non de sa défiguration, mais au contraire de ce que ce visage est réellement intact et beau ; de ce que Franju, au fond, en garde le spectacle et la jouissance pour lui seul.
Les Yeux sans visage a la réputation d’être un film mystérieux. La source de son mystère est là, dans ce visage que tout concourt à guérir et à ne pas guérir, à montrer et à ne pas montrer. Dans la fiction, l’amour de Franju pour Edith Scob trouve sa réalisation la plus profonde quoique la plus paradoxale.

Autres points de vue :

On ne parle plus guère de  » beauté plastique  » aujourd’hui. Seulement de  » chirurgie plastique  » (auquel cas Franju est un pionnier). Mais si le mot reprenait du service, il ne faudrait pas que ce soit seulement pour Lumière, Feuillade ou Lang, mais pour l’un de leurs derniers grands héritiers : Franju. Car je ne vois pas comment il est possible d’oublier le ciré noir de la complice-assistante-amante du professeur, encore plus luisant que le regard d’Alida Valli qui joue le rôle. De même, je n’avais jamais pensé qu’une 2 CV Citroën puisse posséder une telle présence à l’écran (regardez la première scène, merveille de découpage). Ni qu’une DS puisse se garer avec une élégance aussi sournoise. Ni qu’un arbre ait l’air de souffrir à ce point. Ni, bien sûr, qu’un masque de peau  » entre pincettes « , comme on dirait  » entre guillemets « , puisse quitter à regret le visage de la future momie (infortunée Juliette Mayniel).
 » Plasticien  » ne veut pas dire ici que Franju sait composer des images, mais qu’il filme des objets inexplicablement beaux. Pour qu’une 2CV soit belle, il ne faut pas seulement qu’elle soit  » bien filmée « , il faut qu’elle devienne  » quelqu’un « . Franju ne s’intéresse pas exagérément à ses personnages (bien dessinés, mais à grands traits), de même qu’il ne cherche jamais à jouer au plus fin avec le spectateur. Les jeux de main chaude ne l’intéressent pas. Il préfère laisser aux objets une chance de devenir à la fois des personnages et des spectateurs. Personnages puisqu’ils ont un rôle à jouer (la 2 CV roule) et spectateurs puisqu’ils sont les témoins d’horreurs indicibles (il y a souvent un cadavre sur le siège arrière de la deuche tragique). C’est tout l’art poétique de Franju.
Serge Daney, Libération, jeudi 25 septembre 1986

Franju s’intéressa toujours à la science. Celle-ci a avec le cinéma un rapport évident : l’une et l’autre pratiques reposent sur l’idée qu’il y a un langage spontané du visible, se révélant automatiquement à un regard neutre en même temps qu’attentif. Le cinéma d’ailleurs fut beaucoup utilisé à des fins scientifiques. Mais Franju va au-delà de cette parenté naturelle. Une véritable passion le lie au cinéma chirurgical, et par dessus tout à un film, Trépanation pour crise d’épilepsie bravais-jacksonienne, réalisé par Thierry de Martel. Un phénomène surtout le fascine : pendant la trépanation, le patient ne manifeste aucune souffrance, et cela, étrangement, rend la vision du film presque insupportable. De la science, Franju aime la neutralité et le silence, jusque dans l’horreur. Dans Les Yeux sans visage, le personnage impassible du scientifique Genessier et le masque indéchiffrable de Christiane reproduisent cela. Ainsi, Franju, comme Thierry de Martel, fait basculer toute la souffrance du côté du spectateur.

Auteur du dossier : Emmanuel Burdeau © Bibliothèque du Film

Vidéos

Pistes de travail

Peu de films parlent comme Les Yeux sans visage de la peur : peu font aussi peur ; peu la définissent avec une telle précision. Un grand principe commande la mise en scène de Franju : ce sont les mêmes visages qui ont et font peur, qui l’éprouvent et la communiquent à autrui. Ces visages, ce sont celui de Louise, sur qui dès le premier plan s’inscrit la peur, et qui bientôt fera peur en jetant un cadavre à l’eau ; celui d’Edna, l’étudiante suisse, dans les yeux de qui se lit la panique quand Genessier l’endort, et qui ensuite offre le terrible spectacle d’un visage qu’on s’apprête à décoller ; celui de Christiane surtout, terrifiée par les horreurs commises en son nom, et dont la “ plaie ”, simultanément, menace le spectateur d’une vision que, peut-être, il ne supportera pas. On dit parfois que la peur n’existe pas, qu’au fond seule existe la peur de la peur. Les Yeux sans visage, par le circuit qu’il crée d’un visage à l’autre, éclaire admirablement cette expression d’ordinaire énigmatique.

Fiche mise à jour le 5 novembre 2004

Expériences

Les Yeux sans visage occupe une place centrale dans l’œuvre de Franju. Certains éléments de ses documentaires s’y retrouvent : un souci absolu de réalisme ; un intérêt pour la science, qui était déjà le sujet de Monsieur et Madame Curie (1953) ; un amour des animaux, visible dès Le Sang des bêtes (1948), et dont le rôle ici joué par les chiens et les colombes apporte une nouvelle preuve ; une dimension de critique sociale, présente dans Hôtel des Invalides (1950), manifeste ici à travers le portrait du respectable et monstrueux professeur Genessier.
Surtout, Les Yeux sans visage (comme Judex trois ans plus tard) est un film fantastique, genre favori de Franju. Par fantastique, il ne faut pas entendre la peinture d’événements dont on ignore s’ils sont réels ou pas, mais un regard qui, en toute chose, une opération de chirurgie comme un visage, un manteau ou une voiture, révèle la part d’insolite, c’est-à-dire à la fois la beauté et la capacité à étonner, voire à effrayer. Chez Franju, Les Yeux sans visage est le sommet de ce fantastique-là.

Outils

Bibliographie

Georges Franju, impressions et aveux, Marie-Magdeleine Brumagne, Ed. L'Age d'homme, 1977.
Georges Franju, poésie et vérité, Freddy Buache, Cinémathèque française, 1996.
Georges Franju, cinéaste, ouvrage collectif, Maison de la Villette, 1992.
Georges Franju, une esthétique de la déstabilisation, Gérard Legrand, Maison de la Villette, 1992.

Du visage au cinéma, Jacques Aumont, Cahiers du cinéma-Editions de l'Etoile, 1992.

Des lumières et des ombres, Henri Alekan, Librairie du collectionneur,1991.
Le Vécu et l'Imaginaire, Henri Alekan, Source/La Sirène, 1999.

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