Trahison (La)

France (2006)

Genre : Drame historique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives LAAC, Lycéens et apprentis au cinéma 2006-2007

Synopsis

Algérie, 1960. Le sous-lieutenant appelé Roque a la responsabilité d’une trentaine d’hommes, stationnés dans l’Est Algérien. La majorité sont d’origine « européenne », arrivés de métropole pour être précipités dans un conflit et un pays qu’ils comprennent mal. Tous sont avides de leur libération. Avec eux, quatre « F. S. N. A. » (« Français de Souche Nord-Africaine »), dont un jeune caporal appelé, Taïeb. Taïeb et ses camarades sont issus de familles plutôt favorables à la France, parce que leurs pères sont d’anciens combattants ou parce que des parents occupent de petites fonctions dans l’administration. Mais, pour les quatre jeunes algériens, le dilemme ne tarde pas. De quel côté se trouve la trahison ?

Générique

Réalisation : Philippe Faucon
Scénario : Philippe Faucon, Claude Sales, Soraya Nini d’après La Trahison de Claude Sales (Éditions du Seuil)
Image : Laurent Fénart
Son : Alain Sironval, Vincent Guillon, Philippe Baudhuin
Montage : Sophie Mandonnet

Musique : Benoît Schlosberg
Production : Kinok Films
Distribution : Pyramide Distribution
Sortie : 25 janvier 2006
Couleur
Durée : 1 h 20
Interprétation
Vincent Martinez
Ahmed Berrhama
Cyril Troley

Autour du film

Philippe Faucon est un cinéaste beaucoup trop discret pour qu’on omette de souligner, d’entrée de jeu, qu’il fait partie de ces rares artistes doués d’une grande justesse de regard, capables de restituer la complexité d’un univers à partir des éléments les plus simples. Sans la réduire à aucun de ces grands exemples, son œuvre évoque des réminiscences de Bresson, Pialat ou Cavalier. Entre romance et chronique sociale, ses principaux films sont dédiés à l’adolescence — L’Amour (1990), Sabine (1992), Muriel fait le désespoir de ses parents (1995), Samia (2001) — et explorent sans une once de complaisance cette zone frontière où l’individu fait l’expérience, violente et inédite, de la tension entre volonté d’indépendance et appartenance à son milieu, exaltation de la liberté et contrainte collective.

La Trahison a beau être adapté d’un récit engageant une expérience autre que la sienne et se situer dans un cadre historique et politique particulièrement sensible (celui de la guerre d’Algérie), le cinéaste y reconduit à l’évidence tout à la fois sa manière et ses préoccupations les plus personnelles. Simplement, la dialectique de l’indépendance et de la sujétion, de la liberté et de la fidélité, de l’individu et de la communauté, y prend une dimension plus brûlante encore de devoir se jouer simultanément sur le terrain de l’intimité et de la grande histoire.
De la même manière, l’agencement proprement cinématographique des corps et de l’espace, auquel ce réalisateur est d’ordinaire si sensible, se trouve relancé à nouveaux frais, sous les auspices d’une question d’emblée politique : celle du partage d’un même espace par des corps qui n’entretiennent pas le même rapport à cet espace. Tout l’enjeu du film est là.
L’action se déroule dans le Sud-Est algérien en 1960, où un lieutenant de l’armée française, Roque, commande un poste avancé chargé d’assurer la sécurité de la région et du village avoisinant. Orchestré en une succession de scènes dépouillées (tant au niveau d’un décor peu ou prou réduit à une zone semi-désertique que d’une dramaturgie confinée aux missions quotidiennes de la garnison), le film joue en apparence le jeu de la chronique de guerre, pour mieux s’en détacher insensiblement et décentrer son véritable sujet. Celui-ci se révèle à travers l’inadéquation qui se fait jour entre la garnison et son environnement, dans une approche essentiellement physique des rapports entre les hommes et les lieux.
Un double hiatus s’établit ainsi, témoignant à la fois de l’aveuglement volontaire que constitue la colonisation et de l’irrémédiable jeu de dupes qui se joue entre les natifs de cette terre et ceux qui prétendent l’administrer. Le premier concerne les rapports des soldats aux habitants du village : déserté par les hommes qui ont pris le maquis dans les rangs du FLN, ce dernier est peuplé de femmes, d’enfants et de vieillards qui répondent par de paresseux mensonges aux questions que leur pose la soldatesque sur l’absence des hommes. Le deuxième, parce qu’engageant une plus grande proximité, est plus profond encore, et constitue à ce titre le cœur du film : c’est la question de la fidélité à l’armée française de quatre appelés d’origine algérienne, dont on voit peu à peu comment la marche de l’histoire les conduit, logiquement, à trahir leur nationalité coloniale au nom de l’émancipation de leur propre nation.

Assujetti au langage

Remarquable est à cet égard la manière dont Faucon naturalise, en quelque sorte, le renversement du rapport visible des forces en présence : l’armée française, censée détenir la puissance du feu et la légitimité de la présence face à une guérilla quasiment invisible, s’y trouve en réalité exposée à une désorientation permanente, à un sourd danger qui émane à la fois du dehors (les ruelles sombres et tortueuses du village, les reliefs infinis du désert) et du dedans (la trahison est susceptible de surgir de ses propres rangs, depuis le sein même du camp retranché). Omniprésente à l’écran, la garnison française n’en paraît pas moins constamment déplacée, expropriée de fait, au titre de corps étranger, d’un paysage qui lui est fondamentalement hostile.
A cette mise en scène subtile d’une situation générale qui se passe de mots s’ajoute la relation particulière et privilégiée qu’entretiennent les deux personnages principaux du film, le lieutenant Roque et son interprète Taïeb, laquelle est entièrement assujettie quant à elle au langage. De ce point de vue, la dépendance de Roque à l’égard de Taïeb, hors de la médiation duquel il est impuissant à comprendre le monde qui l’entoure, accentue, si besoin était, la solitude réelle de la présence française en ces lieux.
La scène nocturne où Roque, averti du danger d’un complot, prend son tour de garde en compagnie de Taïeb est à cet égard exemplaire. Car c’est justement la plus remarquable qualité de ce film que de montrer — par-delà toute considération psychologique ou idéologique, par-delà toute considération morale sur l’humanité ou le racisme endémique de tel ou tel protagoniste — la douloureuse prise de conscience, dictée par la seule nécessité historique, de l’impossibilité désormais de toute proximité.
Jacques Mandelbaum / Le Monde 25 janvier 2006

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