The Host

Corée du sud (2006)

Genre : Fantastique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives LAAC, Lycéens et apprentis au cinéma 2008-2009, Lycéens et apprentis au cinéma 2021-2022

Synopsis

Corée du Sud, Séoul, base militaire Yongsan, 9 Février 2000 : un scientifique américain ordonne à son second, coréen, de déverser plusieurs bouteilles de formol dans le fleuve Han, au mépris des règles sanitaires et au risque de polluer les environs. Juin 2002 : deux pêcheurs attrapent une bestiole sortie de l’eau et l’échappent par mégarde. Octobre 2006 – du haut d’un pont : un homme sur le point de se suicider remarque dans la rivière une grosse masse sombre. Il saute. Près de la berge, le vieux Park Hee-Bong s’occupe d’un snack avec son fils Gang-du, débonnaire et immature. Ce dernier accueille sa fille, Hyun-seo, de retour de l’école ; elle se plaint du mauvais fonctionnement de son téléphone portable. Il lui promet de lui en acheter un autre grâce à ses économies. A la télévision, Nam-joo, la sœur de Gang-du, championne de tir à l’arc est en pleine compétition. Trop lente, elle échoue en finale.Soudain, un monstre sort de l’eau, se rue sur les gens présents aux abords du fleuve ; la créature emporte Hyun-seo sur l’autre rive avant de disparâitre. Durant l’évacuation des lieux par les forces de l’ordre, la population apprend qu’un virus aurait été propagé par la bête. Nam-joo et Nam-il (son frère, désœuvré, porté sur la bouteille car diplômé mais sans emploi) rejoignent leur père (Hee-bong) et leur frère dans un gymnase qui fait office de « funérarium » ; ils pleurent la fillette qu’ils croient morte. Dans l’hôpital où ils sont retenus avec le reste de la population, Gang-du reçoit un appel téléphonique de sa fille, qui est donc vivante ; la famille s’évade pour lui porter secours grâce à des malfrats embauchés pour l’occasion. Leurs recherches commencent alors que la zone est mise sous quarantaine par les autorités coréennes sous la coupe de l’armée américaine ; à proximité, vers les égouts, un garçon (Se-ju) et son frère (Se-jin) sont capturés par le monstre. Hyun-seo, prisonnière dans l’artère d’un égout, prend Se-ju sous sa protection (Se-jin n’a quant à lui pas survécu). Pendant ce temps, la famille fait une pause pour reprendre des forces dans une baraque (Hyun-seo apparaît tel un fantôme) ; le monstre revient et tue Hee-bong. Gang-du est capturé par les autorités coréennes qui, toujours sous l’emprise des forces américaines en présence, évoquent l’utilisation prochaine de l’« Agent Jaune » comme riposte chimique contre le virus bactériologique propagé par la créature. Gang-du est captif des militaires américains qui veulent réaliser des tests (bien que le chef du laboratoire avoue savoir que le virus n’existe pas) ; Nam-il localise le lieu l’appel téléphonique de Hyun-seo grâce à un proche qui pourtant le trahira pour obtenir la récompense de son arrestation ; il lui échappe et envoie un SMS à sa sœur Nam-joo en pleine recherches, elle aussi de son côté. Cette dernière retrouve le monstre. Pendant ce temps, Gang-du s’évade du camion où il a subi des prélèvements médicaux et se rend sur les lieux où sa fille était retenue prisonnière (sa tentative d’évasion n’aura pas marché). Il est trop tard. La bête a dévoré Hyun-seo et Se-ju. Au abords du fleuve, sur l’esplanade des manifestations anti-« Agent Jaune », Gang-du retrouve sa soeur et son frère (qui arrive accompagné d’un clochard qui viendra portée mains fortes). Un combat collectif s’ensuit et permet de venir à bout de la bête qui succombe brûlée et transpercée par un pieu en fer. Tous pleurent Hyun-seo, retirée sans vie de la gueule du monstre. Gang-du recueille Se-ju qui, lui, a survécu. A la télévision, on apprend que le virus n’a jamais existé et que tout n’était qu’une manipulation orchestrée autour d’une gigantesque campagne de désinformation concernant l’existence d’un soi-disant virus bactériologique. 

 

Générique

Titre original : Gwoemul 
Réalisation : Bong Joon-ho
Scénario : Bong Joon-ho, Hah Joon-won et Baek Chul-hyun
Direction de la photographie : Kim Hyung-goo
Eclairage : Lee Kang-san et Jung Young-min
Son : Lee Seung-chul
Mixage : Choi Tae-young (Livetone)
Montage : Kim Sun-min
Costumes : Cho Sang-kyung
Maquillage : Song Jong-hee
Décors : Ryu Seong-hee
Musique : Lee Byeongwoo
Effets visuels et animation : The Orphanage
Supervision des effets visuels : Kevin Rafferty
Production : Choi Yong-bae
Co-production : Joh Neung-yeon
Production exécutive : Choi Yong-bae, Kim Woo-taek et Jeong Tae-sug
Format : couleur, 35 mm, 1:1,85 ; Son, Dolby SR DTS
Durée : 1h59
Sortie en salle (Paris) : 22 Novembre 2006
Interprétation
Song Kang-Ho / Park Gang-du
,Byeon Hie-bong / Park Hee-bong
Park Hae-il / Park Nam-il
Bae Doona / Park Nam-joo
Ko Ah-sung / Park Hyun-seo
Yoon Je-moon / Le clochard
Roi-ha Kim / L’homme en combinaison
Yim Pil-sung / L’ancien camarade de Nam-il
Lee Dong-ho / Se-ju
Lee Jae-eung / Se-jin
Park No-syk / Shades

 

Autour du film

● La structure narrative de The Host s’élabore autour de deux figures précises : le parallélisme et l’enchâssement.

Le parallélisme permet de privilégier l’éclatement narratif au profit de la stricte linéarité du déroulement des événements. Un rythme interne est ainsi proposé ; il permet de suivre plusieurs récits à la fois à travers plusieurs parcours distincts qui mettent scène divers personnages confrontés pourtant à la même épreuve (cf. rubrique « Pistes de travail »).

« Certes, une ligne directrice et continue structure le récit de The Host : le sauvetage de Hyun-seo à travers la quête du monstre. Néanmoins, certaines séquences sont très autonomes : celles du snack (…), des examens (…) et de l’antre de la bête (sorte de ponctuation récurrente qui fait saillie dans le récit). Bien que ces moments soient isolés d’un point de vue spatio-temporel, ils participent à la construction parallèle de la narration. Ainsi, pendant que Gang-du subit des examens, sa fille prépare son évasion, etc. Le « pendant que » applicable à bien des endroits traduit certes l’éclatement du récit en plusieurs événements distincts mais permet leur rapprochement grâce à leur mise en parallèle quasi constante dans le film. »1

L’enchâssement permet de privilégier également l’éclatement narratif en proposant de diffuser d’autres récits secondaires dans le récit dit « premier » et ce, souvent par le biais de la télévision, outil qui permet de suivre les informations et de contextualiser l’action tout en créant dans le même temps cet effet gigogne repéré à plusieurs reprises.

« Le faux récit inventé par les autorités fait naître une sorte de fiction dans la fiction : elle concerne la propagation d’un soi-disant virus et n’a de cesse de leurrer à la fois les spectateurs que nous sommes et les personnages du film qui deviennent eux-mêmes à leur tour spectateurs d’une autre histoire qui leur échappe. Ainsi, dans la voiture, les trois enfants découvrent à la télévision – support de cette fiction –, qu’ils sont recherchés et donc au centre d’un nouveau récit plus lointain, inaccessible pour eux comme pour nous. L’enchâssement narratif pend forme également dans la séq. n°5 [à 10 min. environ, NDLR] construite sur l’interpénétration constante de plusieurs situations, de plusieurs lieux, de plusieurs personnages impliqués dans une seule et même temporalité : arrivée du monstre à l’extérieur, télévision regardée par Hyun-seo dans le snack et compétition sportive dans la télévision qui est aussi un sous-récit imbriqué. Difficile dans une telle séquence de percevoir les points de sutures, les frontières narratives qui délimitent les événements dépendants les uns par les autres dans leur enchaînement. »2

Souvent, les personnages qui sont devant leur poste de télévision nous regardent, nous spectateurs. Des regards caméras qui n’en sont pas vraiment (puisque notre position de spectateurs que nous sommes est celle de la télévision qu’ils regardent) viennent donc par endroit renforcer une sorte de complicité et instaurer un lien particulier avec ces personnages qui découvrent à la télévision des récits en même temps que nous, spectateurs, nous découvrons le récit de leur vie… étrange rencontre qui s’opère par le biais du poste de télévision.

● Bong Joon-ho aime les mélanges. The Host est un film pluriel dont la narration contient les traces de multiples hybridations. Par divers procédés de torsions, de déplacements, de confrontations internes, Bong atomise le genre premier, celui qui permet de classer ce film comme avant toute chose un « film d’action fantastique ».

Film d’aventures, film d’action, « à pop-corn » certes, « monster movie » et film fantastique, en effet, The Host flirte avec le burlesque, le comique (par des chutes – on tombe beaucoup ; par des situations surprenantes – l’attitude des malfrats qui permettent l’évasion de la famille et les miliaires et leur barbecue lors de l’échappée de Gang-du ; par des propos toujours inédits – le cousin et ses comparses se demandent si la prime qu’ils obtiendront pour la capture de Nam-il sera déductible des impôts) ; The Host invite également le tragique, le mélodrame (la mort de l’enfant chéri après celle du père) ; The Host enfin n’en est pas moins un film engagé, un pamphlet politique qui dénonce l’emprise américaine et l’incompétence des autorités coréennes. « J’aime mélanger les genres, déclare Bong. Je ne le fais pas de manière préméditée, mais cela sort ainsi. »

●Bong Joon-ho pratique la photographie, le dessin, adore les mangas et est très sensible à la composition de l’image. Le travail de la lumière, de la couleur, des formes et des textures témoigne du grand soin apporté aux traitements des cadres, de l’image plus généralement.

« L’espace dans ce film recouvre également une dimension plastique. Composition et dynamique des images s’y ordonnent suivant des choix de verticalité et d’opposition entre le bas (rivière, sol, égouts sont sources de dangers) et le haut (salutaires élévations et accès au niveau supérieur). Les infrastructures de béton et de métal déclinent d’étonnantes formes graphiques, soulignées par des jeux de lumière et d’ombre. Tels un canevas géométrique, ces lignes, ces angles que dessinent les forêts de piliers, de poutrelles, sont comme le décor d’un ordre politique et socio-économique souvent inhumain. La bête inscrit sur cette plastique métaphorique sa difformité, c’est-à-dire son absence de formes repérables. Elle se joue de ces figures rigides, s’y suspend pour progresser librement. Elle est le désordre même, que l’organisation politique hyper structurée ne peut vaincre. Seuls des hommes hors des voies orthonormées de cette société, les Park, y parviendront selon des parcours sinueux et des moyens rudimentaires. Saisissante est l’image de Nam-joo émergeant d’un gros pilier métallique ocre pour poursuivre sa chasse. À l’ordre désincarné des soubassements et infrastructures s’oppose le désordre coloré et profondément humain des snacks, où s’empilent des objets hétéroclites, pour la plus grande satisfaction des besoins élémentaires. »3

1. « Analyse du récit » par Rémi Fontanel in dossier pédagogique The Host « Lycéens et apprentis au cinéma » (responsabilité éditoriale : Christine Desrumeaux-Thirion de l’A.C.R.I.R.A. et rédaction en chef : Rémi Fontanel de l’Université-Lumière Lyon 2), A.C.R.I.R.A. / Région Rhône-Alpes – Université Lumière-Lyon 2, 2007.

2. Ibid.

3. « Mise en scène – Espace réels et imaginaires » par Jacques Joubert in dossier pédagogique The Host « Lycéens et apprentis au cinéma » (responsabilité éditoriale : Christine Desrumeaux-Thirion de l’A.C.R.I.R.A. et rédaction en chef : Rémi Fontanel de l’Université-Lumière Lyon 2), A.C.R.I.R.A. / Région Rhône-Alpes – Université Lumière-Lyon 2, 2007.

Vidéos

Pistes de travail

Atelier : « Les personnages »

Plusieurs pistes de travail sont proposées dans cette rubrique et toutes sont réunies sous un seul et même thème (« Les personnages »), au centre de notre étude car au centre du récit élaboré par Bong Joon-ho.

A travers cet atelier sont donc proposées cinq pistes de travail qui permettent d’aborder le film sous différents angles, à la fois diversifiés et complémentaires.

Ainsi, Bong Joon-ho attache une grande importance aux personnages. Leurs caractéristiques, leurs actions, leurs parcours leur permettent d’avoir une place centrale au sein de la narration et d’y cohabiter de manière équilibrée avec la créature. Voyons comment leur présence et le rôle qu’ils assument sont véritablement constitutifs d’une manière élaborée de concevoir la narration filmique.

1. Qui sont-ils ?

Bong fait de ses personnages des portraits singuliers. Sont ainsi permises des descriptions précises à la fois physiques et psychologiques des membres de la famille Park ; descriptions que chaque élève pourrait mettre en œuvre à l’issue de la projection du film avec l’aide de l’enseignant. Il s’agira ainsi de définir les caractéristiques de ces personnages, quitte à lister les adjectifs adéquats pour chacun d’entre eux ; et de définir également pour chacun d’entre eux un ou plusieurs actes, symboles de son caractère, de son rapport au monde, de sa manière de vivre et de réagir face à l’épreuve à surmonter.

– Gang-du est immature, maladroit, naïf. Il dort souvent (son manque de protéine lorsqu’il était enfant pourrait l’expliquer). Etc.…

– Nam-joo est lente (l’actrice préfère quant à elle parler de « perfectionnisme » concernant le personnage qu’elle incarne). Etc.…

– Nam-il est alcoolique, diplômé sans emploi, impulsif. Etc.…

– Hee-bong est vieux (ce qui n’est évidemment pas une défaillance en soi mais ce qui reste handicapant face à l’épreuve qu’il soit affronter – il mourra, presque immobile, dos à la créature qui le percutera par l’arrière) ; il n’a pas su s’occuper convenablement de son fils Gang-du lorsqu’il était enfant. Etc.…

Ce qui les unit : tous sont des anti-héros, des être défaillants, des personnages en souffrance investis dans le même combat (contre une bête monstrueuse qui a kidnappé l’enfant chéri). L’union fait la force : tous ensemble – et seulement tous ensemble (la famille est un personnage à part entière tellement le collectif a son importance) –, ils parviendront à anéantir la bête (voir à ce sujet la scène du combat final durant laquelle, les après les autres – avec l’aide d’un sans-abri –, ils arrivent à mettre la créature à terre). D’abord le clochard avec l’essence, Nam-il avec le feu, Nam-joo avec l’arc et la flèche et Gang-du avec le pieu – ce sont des moyens archaïques qui sont convoqués – : tous sont concernés par le combat).

– Hyun-seo est probablement la plus mature d’entre eux : courageuse, rusée, intelligente, vive, altruiste, généreuse, elle ne s’en, sortira pas. Elle sera « remplacée » par See-jo, l’enfant qu’elle aura « recueilli », « materné » et qui sera « adopté » par son père Gang-du. Une sorte de boucle est ainsi créée. Le frère qu’elle n’a jamais eu, trouvera un père d’adoption en la personne de Gang-du. Hyun-seo fait le lien entre ces deux personnages que l’on reverra ensemble à la fin du film.

2. Quelle est leur évolution ?

Les personnages évoluent par les épreuves qu’ils se doivent de surmonter, chacun à sa manière, chacun comme il le peut.

Il s’agira de tracer, avec les élèves, les itinéraires des membres de la famille Park et de souligner leurs différents parcours.

– Nam-il ne prend-t-il pas ainsi une revanche sur le monde de l’entreprise (qui le délaisse) en récupérant les données informatiques « à la barbe et au nez » de son cousin qui a mieux réussi que lui, professionnellement parlant ?

– Nam-joo, ne prend-t-elle pas une revanche sur elle-même en visant « dans le mille », soit dans l’œil de la bête lors du combat final, alors qu’elle avait échoué par excès de lenteur à la compétition de tir à l’arc retransmise à la télévision en début de film ?

– Gang-du est probablement celui qui évolue le plus : à la fin du film, il veille, une arme à la main. Après avoir subi l’aventure qui lui a enlevée sa fille, il deviendra attentif, vigilant, prêt à se défendre si jamais… N’est-il pas aussi, d’une certaine manière devenu un père, ce père qu’il n’a jamais réussi à être avec Hyun-seo ? Lorsqu’il extrait sa fille inanimée de la gueule du monstre (métaphore du vagin), il provoque quelque part l’accouchement de son futur fils – accroché à la fillette –, See-jo, qu’il sortira indemne, qu’il recueillera pour créer un nouveau foyer. Paradoxe et situation ambiguë : de la mort de sa fille, de la tragédie vécue, c’est bien un renaissance qu’il vit à travers l’épreuve dramatique de la perte d’un être cher qui pourtant lui permet de devenir un autre homme…

3. N’oublions pas…

…la bête… en effet, depuis les Alien, Dents de la mer ou Jurassik Park, on le sait désormais, une bête aussi dangereuse soit-elle, est un personnage comme un autre et doit être considéré comme tel.

Ainsi, la bête de Bong a ses propres affects, attributs physiques (voir à ce sujet la dernière rubrique de ce dossier « Autour du film »), traits psychologiques. Bong a longuement réfléchi à ce qui composerait sa créature. Elle est plus intelligente qu’il n’y paraît, peut développer certains sentiments ; elle a ses moyens de fonctionner et ses motivations propres (reconnaît-elle ses proies, peut-elle « regarder » ? « Père, il nous regarde », dit Gang-du au moment du combat vers la baraque. Pourquoi garde t-elle certaines proies et pourquoi en dévore t-elle d’autres immédiatement ? Pourquoi décide t-elle d’épargner la fillette ? A cette dernière question Bong a imaginé que Hyun-seo pourrait être compagnon de jeu parfait pour elle. Quel est son fonctionnement physiologique – dévoration-ingurgitation-digestion-régurgitation… ?). Dans un supplément de l’édition DVD, Bong raconte que le suicide en début de film (un homme se jette du haut d’un pont) est important puisque il permet à la bête de goûter à la chair humaine et c’est précisément ce qui la conduira à sortir du fleuve pour se rendre sur la terre ferme (elle en veut encore). Ainsi, la scène qu’il avait tournée (le mariage sur les bords du fleuve – présent en supplément dans l’édition DVD) et qui devait précéder celle du suicide a été éliminée car elle montrait la bête en train de ramper au sol, or, elle n’a, à ce moment là de son évolution, aucune raison d’agir ainsi.1

Il s’agira donc, dans le cadre de cet exercice, de définir avec les élèves ce qui constitue et caractérise la bête que ce soit d’un point de vue physique autant que psychologique. Pour accompagner cette réflexion, la partie consacrée à la création technique de la bête (présente dans la dernière rubrique de ce dossier « Autour du film ») ainsi que le supplément intitulé Dans la tête de la créature (15’00’’) au DVD du film, peuvent être utilisés pour proposer un complément et une éventuelle correction.

4. Les parcours multiples

Le travail opéré sur les divers parcours empruntés par les personnages permet de structurer la narration. Ainsi, les membres de la famille Bong se retrouvent, se séparent puis se retrouvent à nouveau, ce qui donné à chaque fois des lignes nouvelles au récit.

Il s’agira donc de repérer avec les élèves les séquences consacrées :

– Aux retrouvailles : funérarium – la famille est au complet face à la photographie de Hyun-seo ; dîner dans la baraque – Hyun-seo les retrouvent « en fantôme », fruit de l’imagination des membres culpabilisant à manger alors qu’ils supposent qu’elle meurt de faim au même moment ; puis sur l’esplanade lors du combat final – seul Hee-bong est absent).

– Puis aux séparations : lorsque le monstre apparaît, Hyun-seo est capturée et la famille Park perd son premier membre ; après la mort de Hee-bong, la famille éclate et chacun part de son côté).

Le travail consistera donc à montrer aux élèves que ce sont les parcours des personnages qui motivent les lignes narratives du film (puisqu’une fois séparés, les membres de la famille Park vont devoir accomplir des actes différents selon où ils se trouvent : Nam-joo dans les égouts à la recherche de sa nièce ; Nam-il souhaitant localiser le lieu d’appel téléphonique de sa nièce ; Gang-du occupé à s’évader du lieu où il est retenu prisonnier pour les tests que l’armée américaine lui fait subir).

Ces parcours multiples empruntés par les personnages viennent donc, par un effet d’éclatement, structurer la narration et c’est par des choix de montage précis (voir dernière piste ci-dessous et également la rubrique « Mise en scène » de ce dossier) que le cinéaste parvient à donner une cohérence globale à son récit et à son déroulement.

5. Eloignés… mais (ré)unis par le montage

Ce choix d’éclater la narration permet de d’offrir à chacun des personnages un parcours autonome et singulier et nécessite de les lier à distance afin de maintenir la quête collective comme seul axe déterminant du récit.

Il s’agira donc de repérer les moments et procédés qui permettent de mettre en relation les personnages bien qu’éloignés les uns des autres.

Le montage et les choix de raccord subtils entre les plans permettent de relier les personnages entre eux.

– 1 h 12 min. et 50 sec. environ : Nam-il envoie un SMS à Nam-joo pour lui indiquer l’endroit repéré grâce à l’appel téléphonique de Hyun-seo.

– 1 h 21 min. et 50 sec. environ : Gang-du attaché, prêt à subir les tests de l’armée américaine, appelle par désespoir sa fille. Le plan qui suit montre celle-ci la tête levée et donne l’impression d’entendre son père. En fait, elle regarde la hauteur qui la sépare de la sortie. Le raccord permet ici de mettre en place une sorte de rapport télépathique entre le père et sa fille et donc de les positionner comme unis par la pensée.

– 1 h 36 min. 25 sec. environ : Gang-du sort de l’antre du monstre, lève le bras et cherche le rebord avec sa main. Le plan qui suit montre Nam-joo sortir de son trou ; le bras que l’on voit apparaître n’est pas celui de Gang-du comme on pouvait s’y attendre mais bien celui de sa sœur. Les deux personnages vivent la même situation au même moment et le montage alterné permet de formaliser cette idée.

Ainsi, par ces différents choix, le cinéaste maintient l’idée du lien familial, de l’union et du mouvement collectif orienté vers le seul objectif que représenté la libération de la fillette. L’enseignant est invité à trouver d’autres éléments du même type qui viendront marquer par la forme, les liens qui existent entre les membres de la même famille, séparés certes physiquement mais unis dans la douleur et la même quête, comme le désignent ces choix opérés par le cinéaste.

En insistant sur ces cinq points et en les illustrant abondamment d’extraits (ceux qui sont notamment proposés dans les lignes précédentes), il s’agira d’expliquer aux élèves que le cinéaste a choisit de s’appuyer sur les personnages pour développer son récit, son développement, ses orientations et ses évolutions. Considérer le film The Host par le biais d’une étude approfondie des personnages reste une méthode pertinente dans la mesure où elle ouvre à des diverses analyses de « fond » et de « formes », comme a tenté de l’exposer cette rubrique « Pistes de travail ».

1. A ce sujet, un exercice peut être aussi envisagé : il s’agirait de repérer toutes les scènes où l’on mange (scènes de repas en famille notamment). Ainsi, à chaque acte de ce type, un sens, une évocation. La patte du poulpe sur le barbecue ou les bulots dans leurs boîte de conserve consommés par Gang-du rappellent étrangement le monstre lui-même en version réduite. Idem pour le repas pris en famille où l’on voit apparaître Hyun-seo « en fantôme » à la même table que ses proches, coupables de manger et désireux de la nourrir alors qu’elle doit mourir de faim là où elle se trouve. Etc.

– 1 h 12 min. et 50 sec. environ : Nam-il envoie un SMS à Nam-joo pour lui indiquer l’endroit repéré grâce à l’appel téléphonique de Hyun-seo.

– 1 h 21 min. et 50 sec. environ : Gang-du attaché, prêt à subir les tests de l’armée américaine, appelle par désespoir sa fille. Le plan qui suit montre celle-ci la tête levée et donne l’impression d’entendre son père. En fait, elle regarde la hauteur qui la sépare de la sortie. Le raccord permet ici de mettre en place une sorte de rapport télépathique entre le père et sa fille et donc de les positionner comme unis par la pensée.

– 1 h 36 min. 25 sec. environ : Gang-du sort de l’antre du monstre, lève le bras et cherche le rebord avec sa main. Le plan qui suit montre Nam-joo sortir de son trou ; le bras que l’on voit apparaître n’est pas celui de Gang-du comme on pouvait s’y attendre mais bien celui de sa sœur. Les deux personnages vivent la même situation au même moment et le montage alterné permet de formaliser cette idée.

Ainsi, par ces différents choix, le cinéaste maintient l’idée du lien familial, de l’union et du mouvement collectif orienté vers le seul objectif que représenté la libération de la fillette. L’enseignant est invité à trouver d’autres éléments du même type qui viendront marquer par la forme, les liens qui existent entre les membres de la même famille, séparés certes physiquement mais unis dans la douleur et la même quête, comme le désignent ces choix opérés par le cinéaste.
Rémi Fontanel, le 31 décembre 2008

Expériences

Monstre de cinéaste

« Je veux faire des films que j’aimerais voir en tant que spectateur. »

Cette phrase de Bong Joon-ho éclaire sa démarche et donne quelques indications sur la motivation qui aura permis The Host que l’on peut par ailleurs rapprocher de Godzilla (Roland Emmerich, 1998) ; Godzilla, film qui aurait déçu Bong, déterminé à en reprendre la base scénaristique afin de mettre un terme à sa propre contrariété de spectateur, et toujours plus exigeant avec ce type de film appelé plus communément monster-movie. Ainsi, plus que Godzilla, Bong cite plus volontiers les films du genre qui l’ont marqué : Les Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975), Alien (Ridley Scott, 1979), The Thing (John Carpenter, 1982) et plus récemment Signes de M. Night Shyamalan (2002). Bong s’inscrit donc dans une veine de films qu’il connaît et respecte pour certains d’entre eux mais entend, avec The Host, bousculer les codes afin d’y apposer sa touche personnelle.

Certes, en Corée du Sud, bien des cinéastes (Park Chan-wook, Hang Sang-soo, Kim Ki-duk pour ne citer qu’eux) ont tracé la voie et sont désormais devenus incontournables ; mais avec des centaines de critiques dithyrambiques venues du monde entier, des millions de spectateurs sur tous les continents, des dizaines de récompenses récoltées dans les plus grands festivals internationaux et surtout, le record du grand nombre de spectateur de toute l’histoire du cinéma coréen – 14 millions !), Bong Joon-ho s’est imposé, avec The Host, du haut de ses 35 ans comme un…monstre de cinéaste.

Une double posture

Bong appartient à cette génération de cinéastes dite « post démocratique » : cinéphile, attentif et pas du tout en position de rejet face au cinéma américain, acceptant et créant du coup un « star system coréen » ouvert aux influences occidentales et américaines, il n’est réfractaire à aucune nouvelle expérimentation, à aucun désir, à aucune motivation.

The Host est un film à la croisée de deux démarches qui peuvent refléter la position actuelle de nombreux cinéastes coréens : blockbuster, « film à pop-corn », The Host engage également le regard d’un artiste sur le monde qui dénonce de manière virulente ses injustices ou ses incohérences et ce, quitte à en jouer, quitte à réinvestir cette posture dénonciatrice au cœur du récit et à travers une mise en scène qui privilégient l’action, le burlesque, le drame, la critique politique et sociale.

Quand l’imaginaire est contaminé par le réel…

Le film qui précéda The Host, Memories of Murder (2003) – le second long métrage du cinéaste –, fut inspiré de faits réels, qui se déroulèrent en Corée entre 1986 et 1991. Le premier tueur en série de toute l’histoire de la Corée viola et assassina dix femmes, dans un rayon de deux kilomètres. La plus âgée des victimes avait 71 ans. La plus jeune était une écolière de 13 ans. Le meurtrier n’a jamais laissé d’indices derrière lui. Plus de 3000 suspects furent interrogés et au final, plus de 300 000 policiers ont été mobilisés pour l’enquête. Personne ne fut jamais inculpé pour ces crimes. Il en fut de même pour The Host qui prit forme sur les bases d’un fait divers qui révolta le cinéaste. Ainsi, en 2000, la presse relate une histoire qui scandalise bon nombre de coréens et associations écologistes du monde entier : Albert McFarland, un entrepreneur de pompes funèbres travaillant pour les forces américaines en Corée ordonna le déversement de formaldéhyde dans la rivière Han qui traverse Séoul. Il fut condamné à deux ans de suspension et mis en liberté sous caution. L’affaire fit scandale car les terres environnantes furent contaminées sur un rayon de plusieurs kilomètres et la pollution fut d’une extrême gravité. Bong fut indigné comme il le fut par ailleurs par la position américaine en Irak. Ainsi, si le prologue au récit évoque cette catastrophe écologique, le faux virus et la campagne de désinformation qui l’accompagne, sont directement liés à la machination opérée par l’administration Bush. Bong Joon-ho transpose ainsi l’emprise américaine en Irak et le mensonge concernant la prétendue présence d’armes de destruction massives dissimulées par Sadam Hussein, à son récit qui développe la possibilité d’un virus dont on apprendra à la fin qu’il n’a jamais existé. D’ailleurs, le discours du responsable américain à la télévision à la toute fin de The Host est, mot pour mot, celui prononcé par le représentant du gouvernement américain lorsqu’il fut question de restaurer la vérité. Le mot « armes de destruction massive » est remplacé par « virus » : une manière directe de dénoncer de manière pamphlétaire le contrôle des Etats-Unis, malsain et sournois, en Corée du Sud. L’utilisation de l’« Agent jaune » par les autorités coréennes sous tutelle de l’armée américaine, n’est rien d’autre qu’une dénonciation supplémentaire : en effet l’« Agent orange » (herbicide agricole chimique utilisé aux Etats-Unis et meurtrier pour l’homme), fut utilisé en grandes quantités entre 1961 et 1971 par l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam.

Cf. autres métaphores présentes sur le Web : http://fr.wikipedia.org/wiki/The_Host.

Un titre, des significations

Le titre coréen « gwoemul » signifie « monstre ». Un choix assez « simple » qui invite à centrer le récit autour de la bête qui surgit du fleuve. Bong n’aurait pas été déçu, bien au contraire, par le choix anglophone décidé dans le cadre de la distribution internationale : « The Host » (« L’hôte ») lui aurait en effet beaucoup plu car il revêt deux significations et peut être compris de deux manières différentes. Le premier sens de « The Host » est lié à « l’organisme vivant qui héberge un parasite ». En fait, deux organismes vivants hébergent un parasite : le premier bien réel est le monstre qui serait porteur d’un virus et le second plus métaphorique serait la Corée contaminée par un autre virus : les Etats-Unis d’Amérique. L’autre sens suggère « la personne qui offre l’hospitalité », ce qui signifie que l’homme a permis à la créature de vivre avec lui. The Host est un titre bien plus subtil que « gwoemul » ; finalement à la hauteur d’un film qui revêt bien d’autres finesses, métaphores, sagacités.

Les effets spéciaux

La bête a été conçue et fabriquée en quatre étapes.

1. Seize mois de travail ont été nécessaires au coréen Jang Hee-chul pour concevoir la créature. Il dessina, proposa ses essais à Bong, tâtonna, expérimenta, produisit quelques petites sculptures pour arriver finalement ce que l’on connaît aujourd’hui. Ainsi, on retrouve à la fois le cétacé – orque ou baleine (pour le corps), le lézard (la queue qui permet d’apporter les proies à la bouche tel un éléphant avec sa trompe) et le chien (la gueule) à travers cette créature hybride, cet amphibien capable de nager et de se déplacer sur la terre ferme certes, mais également capable de voler (ses sauts aériens sous le pont sont rendus possibles par la queue qui permet la suspension). Weta Worshop (studio néo-zélandais reconnu pour ses créations diverses – notamment Le Seigneur des anneaux et King Kong de Peter Jackson) mit à disposition de Jang Hee-chul un atelier de travail et des conseillers chevronnés.

2. Une marionnette grandeur nature fut également réalisée (option est de plus en plus rare au cinéma tant il est désormais possible de réaliser beaucoup grâce à la technologie informatique). Cette création apparaît lors de la scène où l’on voit Gang-du sortir See-ju et sa fille décédée de la gueule du monstre. Pour cette gueule, furent utilisés de la fibre de verre pour le moule, du latex liquide pour la peau et la chair, de multiples pièces mécaniques, du maquillage prosthétique ainsi que des poils de chèvres. Animée de l’intérieur et de l’arrière (par trois hommes qui firent bouger la gueule et dirigèrent électroniquement l’œil par le biais d’un système de radioguidage), cette marionnette s’impose au milieu des autres effets spéciaux informatiques convoqués de manière abondante.

3. The Orphanage (studio de postproduction américain) géra la synthèse des prises de vue réelles et des images de synthèse en 3D. Lors des prises de vue réelles, un homme habillé de noir, courant à toute vitesse et quelquefois en mobylette, se déplaça pour simuler la course du monstre au milieu des personnages et figurants affolés (notamment lors de la première apparition sur les bords du fleuve). Le monstre fut quant à lui dessiné et fabriqué via la technologie informatique avec une grande précision afin de se rapprocher au plus près des mouvements repérés chez les plus gros animaux marins. Les réalisations de la bête en 3D furent soigneusement découpées et collées sur les plans nécessitant se présence.

4. Kevin Rafferty, l’homme d’orchestre de cette vaste et longue opération technologique, travailla quant à lui à harmonisation des divers éléments en y ajoutant notamment quelques détails pour rendre l’ensemble le plus crédible possible, pour intégrer au mieux le monstre à son environnement, pour le fondre au cœur des prises de vue.




Outils

Bibliographie

Host, l’alien de Séoul, Bernier Alexis, in Libération, 22 Nov. 2006
The Host, un film à quatre queues, Gombeaud Adrien, in Positif n°549, Nov. 2006
Le heurt et la stupeur, Malausa Vincent, in Panic n°5, Oct./Nov. 2006
ous le masque du monstre, un grand film mutant, Mandelbaum Jacques, in Le Monde, 22 Nov. 2006
L’usage du monstre, Tessé Jean-Philippe, in Cahiers du cinéma n°617, Nov. 2006
Dossier The Host, Le monstre du fleuve in L’Ecran fantastique n°270, Nov. 2006
Dossier The Host, in Mad Movies n°181, Nov. 2006
Dossier The Host / Cinéma coréen, Julien Gester in Les Inrockuptibles n°573, 21 Nov. 2006
Dossier The Host / Cinéma coréen in Cahiers du cinéma n°618, Déc. 2006

Le Cinéma coréen, Aprà Adriano (sous la Dir.), Ed. Centre Georges Pompidou, Coll. Cinéma pluriel, Paris, 1993
Le Cinéma sud-coréen. Du confucianisme à l'avant-garde : splendeurs et misères du réalisme dans le nouvel ordre spectaculaire, Coppola Antoine, Ed. L’Harmattan, Coll. Images plurielles, Paris, 1997 et 2005 (nouvelle édition)
Séoul Cinéma - Les origines du nouveau cinéma coréen, Gombeaud Adrien, Ed. L’Harmattan, Coll. Champs visuels, Paris, 2006

Histoire du cinéma en Asie (Corée, Chine, Japon, Asie du Sud-Est), Coppola Antoine, Ed. L’Harmattan, Coll. Images plurielles, Paris, 2004
Le Cinéma asiatique : Chine, Corée, Japon, Hong-Kong, Taïwan, Coppola Antoine, Ed. L’Harmattan, Coll. Images plurielles, Paris, 2004

DVD

The Host en DVD (2007) et en Blu-ray (2008), édité par Océan Films.
Memories of Murder, édité par TF1 Vidéo (avec 3 heures de suppléments dont White Man, premier court-métrage du cinéaste)

Web

Dossier complet autour du film sur le site Web du magazine en ligne : www.excessif.com
Dossier spécial autour du cinéma coréen : analyse par Laurence Reymond in revue en ligne Fluctuat
Etude de Magali Payen autour du jeune cinéma coréen (histoire, industrie, genres, économie, politique et censure) in site Web www.iletaitunefoislecinema.com

Films

Les Renaissances du cinéma coréen de Hubert Niogret