Taxi Teheran

Iran (2015)

Genre : Autre

Écriture cinématographique : Docu-fiction

Lycéens et apprentis au cinéma 2017-2018

Synopsis

Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, traditionalistes ou modernistes, aussi bien vendeur de vidéos pirates que défenseur des droits de l’homme, tous se retrouvent tour à tour dans le véhicule d’un conducteur de taxi inexpérimenté qu’ils appellent Aghayé Panahi

Distribution

Jafar Panahi : Aghayé Panahi
Les personnages filmés dans le taxi sont des acteurs non-professionnels qui, pour des raisons de sécurité, restent anonymes.

Générique

Réalisation : Jafar Panahi
Scénario : Jafar Panahi
Production : Jafar Panahi
Compagnies de production : Jafar Panahi Film Productions
Durée : 1h26

Autour du film

La vision d’un film prend parfois une saveur toute particulière quand on sait qu’il est interdit de diffusion dans le pays même où il a été tourné. Car les Iraniens ne verront pas « Taxi Téhéran » dans un cinéma, ainsi en a décidé le pouvoir.
Jafar Panahi est malheureusement habitué à ce traitement politique puisque tous ces derniers films n’ont pu être distribués dans son pays d’origine, pire, son obstination à tourner malgré tout, lui a valu d’être emprisonné en 2010.

Plus qu’un film, c’est un témoignage
Surveillé sans cesse par un pouvoir apeuré par les thèmes tabous qu’il pourrait mettre en scène, le réalisateur iranien a fini par être interdit de sortie du territoire ainsi que de réaliser le moindre film pendant 20 ans. Cinéaste clandestin dans son pays, le voilà obligé de ruser pour que nous parviennent ses œuvres : « Taxi Téhéran » est donc plus qu’un film, c’est le témoignage d’un homme, et par lui d’une société, oppressé insidieusement, c’est un acte de liberté qui peut valoir répression à son auteur.
Le soutien du monde du cinéma international est sans doute fondamental dans cette lutte pour le droit à l’expression : ses films gagnent en visibilité grâce à leur sélection dans des festivals prestigieux.

Toutes les scènes se passent dans un taxi
Celui de Berlin vient de décerner l’Ours d’or à « Taxi Téhéran », permettant un écho considérable à un film qui sera diffusé sous le manteau en Iran. Au-delà du contexte, c’est une vraie œuvre cinématographique qui est consacrée : Jafar Panahi se met lui-même en scène dans ce qui est une déclaration d’amour à son métier et à ceux qui résistent, comme ils le peuvent, à un pouvoir nuisible pour qui gouverner veut dire contrôler.
Se filmant en chauffeur de taxi atypique pendant quelques heures, il va embarquer tour à tour une série de personnages qui seront autant de facettes d’une société où dire et faire certaines choses anodines pour nous, sont là-bas des preuves de bravoure.
Comme l’indique son titre, le film se passe entièrement dans un taxi dont on ne verra que l’intérieur : tel est le dispositif filmique que met en place le réalisateur. Ce qui lui permet, sous la contrainte de l’interdiction dont il est l’objet, d’une part de pouvoir tourner sans trop attirer l’attention (pas de caméras en dehors de la voiture), d’autre part d’explorer de nouvelles formes dans l’art qui est le sien puisqu’il est limité dans les cadrages et les mouvements.
Si sa situation avait été différente, on aurait presque pu penser qu’il avait décidé de participer à un de ces épreuves filmiques avec obstructions qu’affectionne Lars Von Trier. Mais c’est la réalité d’un pays qui le pousse à innover.
Une caméra légère sur pivot fixée sur le tableau de bord lui permet de passer de prises de vues de l’extérieur à une vision de l’intérieur et donc de ses passagers. C’est l’axe principal auquel s’adjoindront deux autres afin de varier les angles de vue.
L’ouverture du film installe d’ailleurs ce programme avec un long plan-séquence (décidément très en vogue) montrant la rue en vue subjective depuis le taxi. Arrêté à un feu rouge, Jafar Panahi retrouve là l’essence même du cinéma et ce plan où la foule va et vient, où la vie défile devant l’objectif, évoque le cinéma primitif des frères Lumières. Car à travers ce film sur son pays, le réalisateur parle aussi de lui et de la situation du cinéma en Iran : il est aux commandes de son taxi tout autant que de son film.

Prendre le pouls d’une société
Cette déambulation cinématographique et autobiographique au cœur d’une ville nous rappelle celle de Nanni Moretti et de son « Journal intime » (1993) qui, enfourchant sa vespa, nous emmenait à la découverte de Rome et de lui-même.
Le choix du taxi se révèle judicieux puisque qu’il est typiquement le moyen de transport qu’empruntent des gens très différents qui sont autant d’histoires potentielles, ce qu’avait bien compris Jim Jarmusch en faisant du taxi le point commun à cinq variations autour du genre humain dans « Night on Earth » (1991).
Et de cinéma il est souvent question dans le film de Jafar Panahi, en particulier à travers le personnage d’un de ses passagers, un cocasse contrebandier… de dvd dont le chauffeur-réalisateur fut client et qui lui permit de voir « Il était une fois en Anatolie » et « Midnight in Paris ». Cette cinéphilie clandestine (peu de films occidentaux étant distribués en Iran) nous montre le décalage entre les modes de vies et nous ramène à des temps anciens où ce sont les livres qui étaient imprimés et diffusés en cachette dans nos contrées.
Le cinéaste cite également sa propre filmographie : « Le Miroir », « Sang et Or » et « Hors Jeu », des clins d’œil en forme de souvenirs pour celui qui, littéralement, fait un parcours dans la ville comme dans sa propre vie. Le client qui vient acheter des films profite d’une leçon de cinéma de Jafar Panahi : il lui dit que c’est à lui seul de trouver le sujet du film qu’il désire faire et que pour cela il lui faut aller dehors.
Prendre le pouls d’une société, voilà ce que le réalisateur continue de faire malgré l’adversité. Son pouvoir contestataire est celui d’une image créatrice.

Le spectateur, un témoin souriant, troublé, attristé
Durant ce voyage urbain se côtoieront le sérieux et l’amusant, le grave et le poétique, l’ancienne et la nouvelle génération, les hommes et les femmes. L’une des séquences les plus admirables est sans doute la discussion entre Jafar Panahi et son espiègle nièce : un simple devoir d’école (réaliser un petit film) devient une éclatante démonstration de l’absurdité des règles de bienséances.
Comme le décapant « Persepolis » (2007) l’avait déjà dénoncé. Ainsi, un personnage positif ne doit pas porter de cravate, ni de prénom persan. Il ne faut ni aborder la politique ni l’économie. Seule la réalité, sauf si elle est laide, a le droit d’être traitée. La naïveté de l’enfant vaut tous les discours : pourquoi le pouvoir a créé une réalité qu’il refuse ensuite que l’on montre s’étonne-t-elle.
Mais si le réalisateur fait entendre la voix de la jeunesse à travers celle qui représente l’avenir, il montre aussi les ravages d’un enseignement orienté : la petite fille s’autocensure et désespère de pouvoir faire un film « diffusable ».
Entre fiction et documentaire, le réalisateur iranien fait du spectateur son passager permanent, témoin souriant, troublé, attristé, de sa vie et de celle de ses compatriotes. Dans cet habitacle-spectacle qui va de l’avant, la caméra est comme une figure de proue qui, à défaut d’entraîner son pays dans son sillage, draine avec elle chaque spectateur qui aura participé au voyage.

Par Romain Faisant, Le nouvel Obs
http://leplus.nouvelobs.com

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Dossier pédagogique proposé par E-media
http://www.e-media.ch/documents/showFile.asp?ID=7130

Reportage sur le film et présentation du réalisateur, sur Arte