Bled Number One

Algérie, France (2005)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives LAAC, Lycéens et apprentis au cinéma 2014-2015

Synopsis

Kamel, expulsé de France, revient dans son village d’origine. Il retrouve, non sans désanchantement, une société masculine où les femmes prennent leur repas à part des hommes. Louisa qui s’en retourne chez ses parents parce qu’elle est malmenée par son mari, est confrontée à la réprobation de sa propre famille. L’atmosphère est étouffante pour Kamel qui essaye malgré tout de s’accommoder de cet environnement.

Générique

Réalisation : Rabah Ameur-Zaïmeche
Scénario : Rabah Ameur-Zaïmeche, Louis Thermes
Image : Lionel Sautier, Hakim Si Ahed, Olivier Smittarello
Montage : Nicolas Bancilhon
Son : Timothée Alazraki, Bruno Auzet, Mohamad Naman
Production : Sarrazink Productions
Distribution : Les films du Losange
Format : couleurs
Durée : 1h42
Interprétation
Rabah Ameur-Zaïmeche / Kamel
Meriem Serbah / Louisa
Abel Jafri / Bouzid
Ramzy Bedia /
Farida Ouchani /

Autour du film

Deuxième épisode ?

Dans Wesh Wesh, Qu’est ce qu’il se passe, son premier long métrage, Rabah Ameur Zaïmèche, mettait en scène et interprétait le personnage de Kamel. Après avoir passé 5 ans en prison puis deux années d’exclusion en Algérie (double peine), Kamel était de retour dans la cité des Bosquets.

Ce précédent film s’achevait dans un panoramique vertical sur le ciel blanc pendant qu’en bande son, un morceau du groupe toulousain Tactikollectif (« Nekwi s warrach n leezzayer ») lançait le générique.

Bled number One s’ouvre sur un fondu au blanc, avec exactement la même chanson en BO… Ces signes indéniables de continuité entre les deux films ne résolvent cependant pas clairement la question de la chronologie des deux histoires : laquelle est la première ? Wesh Wesh, Qu’est ce qu’il se passe pourrait servir de prologue à Bled number one comme il pourrait en être la suite (Bled number one raconterais alors les deux années d’exil forcé du personnage). Ce flou révèle bien ce qui sous-tend le travail de Rabah Ameur Zaimèche : difficile de définir un début lorsqu’on ne sait plus vraiment où tout à commencé. Si le titre du film affirme l’attachement du réalisateur à l’Algérie, et à son Bled en particulier, Kamel n’a plus vraiment de racines. Immigré sur le sol français, il est « Kamel-la-France » en Algérie.

Entre deux pays, entre fiction et réalité

Le générique de fin l’indique très clairement : Bled number one est un film fait en famille. Pour le tourner, Rabah Ameur-Zaimèche retourne en Algérie dans le village de sa famille où, enfant, il passait tous ses étés. En incarnant lui-même le personnage de son film, Rabah Ameur-Zaimèche brouille les frontières entre réalité et fiction.

Le tournage s’est déroulé en décors naturels et comporte, de fait, une part d’imprévus, renforcés par le choix de travailler avec des acteurs non professionnels en grande majorité. Dans la séquence de l’hôpital psychiatrique, à 1’18’39 qui est l’une des plus touchantes du film, les malades sont de véritables pensionnaires.

Dans Les Cahiers du Cinéma de mai 2006, le réalisateur explique qu’il a eu besoin d’un certain temps pour apprivoiser les habitants avant de tourner « En arrivant, j’ai voulu faire quelque chose de très classique, mais tout le village était là à nous entourer, c’était impossible de tourner. Par respect pour les habitants, on a tout arrêté et on a suivi notre instinct. Les premiers jours on a filmé les gens, les terrasses, les cafés, les cigognes, des animaux. Et puis une fois qu’on a été immergés, on a pu travailler ».

Le point de vue adopté, celui de Kamel, un personnage qui débarque et redécouvre un pays qu’il n’a pas vu depuis longtemps, fournit un prétexte narratif à l’insertion de nombreuses scènes documentaires. Prenons l’exemple de l’accueil de Louisa par les pensionnaires de l’hôpital : la caméra mobile, portée à l’épaule (c’est-à-dire avec un axe de prise de vue à hauteur du visage), l’adresse des femmes à quelqu’un situé hors champ : tout rappelle le dispositif du reportage télé. Cette séquence rayonnante de spontanéité est probablement une des plus fortes du film.

Le réalisateur injecte une part de fiction en provoquant ces séquences. C’est peut être lui qui a demandé d’organiser la Zerda. Pourtant, ces moments n’en sont pas moins criants de vérité car ceux qui y figurent rejouent des gestes qui sont les leurs. La danse des hommes le soir de la Zerda par exemple pourrait aisément s’insérer dans un film documentaire sur la vie en Algérie, tant les gestes sont justes.

La mort du taureau pendant la Zerda a évidemment été réalisée sans effets spéciaux : le spectateur sent bien qu’elle a vraiment eu lieu. Le plan, unique et frontal au moment où la gorge est tranchée, l’atteste. En effet, sa mort aurait pu être suggérée par le montage de plusieurs plans.

Pour ne rien perdre du réel en train de se dérouler sous leur caméra, les opérateurs sont contraints de laisser tourner la caméra sans couper. Aussi, les plans-séquences sont nombreux et révèlent une équipe de tournage à l’affût de la relation humaine la plus juste.

Enfin le support du film véhicule immédiatement une sensation de réel. Les caméras utilisées pour ce film sont des caméras vidéo professionnelles généralement utilisées par les journalistes télé. La qualité de l’image fonctionne donc comme un code et impose au regard l’idée d’un film télévisé ou d’un documentaire

Une mise à distance réflexive

Si Wesh Wesh, Qu’est ce qu’il se passe était le film d’un réalisateur lucide et amer, il comprenait tout de même des chapes d’humour attendri envers ses personnages (la partie de golf avec des clubs volés, les paroles désagréables de la mère faussement traduites par sa fille à la petite amie de son fils) que Bled number one a liquidées. ..

Dans Bled number one, le réalisateur se débarrasse des conventions de la narration classique : plus vraiment d’intrigue (alors que Wesh Wesh, Qu’est ce qu’il se passe les tricotait en montage parallèle), mais un portrait,  celui d’un pays, brossé au grès de l’errance d’un homme et d’une femme.

Les choix de réalisation de Rabah Ameur-Zaimèche sont peu communs. Nombreux plans larges, points d’écoutes orientés sur le paysage sonore plutôt que sur les dialogues des personnages (cf. onglet Analyse), longues focales, plans d’objets, de paysages… Comme le personnage, le spectateur n’est jamais vraiment avec les gens : Kamel se poste en observateur critique et la mise en scène va traduire cette attitude. Par exemple, la caméra souvent placée à distance des personnages les saisis fréquemment en zoomant ou en utilisant de longues focales. Ce type d’objectif (utilisé par les paparazzis) permet justement de se rapprocher visuellement de la personne filmée sans changer physiquement de place.

Le réalisateur donne à ce film une dimension plus poétique que dans son précédent. Il insère des plans contemplatifs (paysages algériens, scènes de rues) qu’il fait durer mais aussi des périodes musicales intégrées à l’histoire comme ces deux séquences où l’on voit le musicien dont on entend la musique ainsi que le réalisateur/acteur regarder au loin (52’24 et . Ces pauses dans le récit ouvrent des instants de réflexion pour le spectateur. Les réverbérations étirées de la musique et l’attitude de Rabah / Kamel donne au film cette teinte mélancolique, vague à l’âme ou mal du pays…

Cécile Paturel, le 26 août 2008

Vidéos

Bled Number One

Catégorie :

Le bain de mer : 01’€™03″25 à  01’07″40

Situation de l’extrait

Envoyée à  la mer sur les conseils du taleb, Louisa va accomplir un rituel censé chasser le mal et guérir son mal être.

Analyse : Mise à  distance, mélancolie et correspondance

Cette séquence est pratiquement muette, mais pas sourde. Pendant les quatre minutes de sa durée, nous n’entendons pas ce que disent les personnages. Pourtant, ils dialoguent à  l’écran. Mais le réalisateur a fait le choix de recouvrir leurs paroles par le bruit des éléments naturels. Le ressac des vagues et les cris des mouettes occupent à  tel point le premier plan sonore que les échanges entre Kamel, Louisa, et les deux autres femmes sont inaudibles. L’action est ainsi gardée à  distance.

La caméra (et donc le spectateur) reste sur la plage pour filmer les personnages qui se trouvent dans l’eau. Ce sont les corps, leurs gestes, les visages, qui importent ici, pas ce que les personnages se disent. Cette mise à  distance (pas de champ/contrechamp : nous ne nous retrouvons à  aucun moment « entre » les personnages) favorise la réflexivité qu’induit le décor. En effet, l’échelle du premier plan, un plan large, donne de l’importance à  l’épave du bateau rouillé qui remplit le cadre, et propage un spleen diffus.

Jamais la correspondance entre Kamel et Louisa n’a été aussi claire que dans cet extrait où les 4e et le 6e plan, les présentant, l’un après l’autre, établit un fort rapport d’analogie entre ces deux personnages. Ils sont non seulement tous deux isolés du monde par une très faible profondeur de champ mais également  dans le dernier tiers de l’écran. Femme et homme, ils sont deux versants d’une même identité.

Cécile Paturel, le 26 août 2008

Pistes de travail

  • Fiction et réalité

Quels sont les moments écrits à l’avance et quels sont ceux qui sont improvisés ? En vous basant sur votre instinct, essayer de dégager deux types de séquence. Dans un deuxième temps, essayer de formuler les différences : jeux des « acteurs » (parfois criants de vérité, parfois maladroit, faux), valeur dramatique (séquence indispensable pour faire avancer le récit, acteurs connus), durée des plans (plan séquences ?), emplacements de caméra…

  • Comment sauver le taureau ?

Comment le réalisateur aurait il pu « sauver » le taureau ? Imaginer un montage qui ferait croire à la mort de l’animal. Trouver d’autres exemple d’actes impossibles à réaliser (trop chers, censure ou raisons esthétiques, morales, stylistiques …) qui peuvent être recréés par le montage.

  • Un pays meurtri

Le réalisateur évoque les problèmes politiques, religieux et sociaux qui embourbent l’Algérie et nous laisse l’impression d’un pays meurtri. Comment s’y prend t il ? Répertorier les difficultés qui traversent le film (extrémisme religieux, statut de la femme, histoire sanglante…) et montrer quelle place le réalisateur leur accorde.

Par exemple, il accorde une grande place à la femme dans le film en faisant bifurquer le point de vue de Kamel à Louisa. La séquence dans l’hôpital psychiatrique montre pour la première fois des moments de bonheur : ils s’agit de femmes vivant entre elles à l’écart des hommes et de la société.

L’histoire sanglante de l’Algérie est évoquée en filigrane par les nombreux plans montrant du sang (la zerda), des empoignades, des menaces…

Cécile Paturel, le 26 aout 2008

Expériences

Racines néoréalistes

Ce film s’inscrit dans la lignée des réalisateurs néoréalistes italiens qui, pour la première fois dans l’histoire du cinéma, délaissèrent les paillettes et les images trop léchées véhiculées par les films hollywoodiens pour s’emparer du réel.

Des cinéastes comme Rossellini, Vittorio De Sica, Visconti commencèrent à faire des films avec des moyens réduits (récupération de pellicule périmée), des acteurs amateurs, dans des décors

Cécile Paturel, le 26 août 2008

Outils

Web

Critique du film et entretien vidéo avec le réalisateur - Sur le site d'Arte vidéo
Entretien avec le cinéaste
Critique du film - par Jean-Philippe Tessé

Revues

Interview avec Rabah Ameur-Zaïmeche, Cahiers du cinéma, n°612, mai 2006
"A l'aventure", par Jean Michel Frodon, Cahiers du cinéma, n°613, juin 2006

Sélection DVD

DVD pédagogique sur le film édité en novembre 2008 par Lycéens et apprentis au cinéma , coordonné par l'ACRIF et les CIP. Le DVD propose:
Premier maquis, film de 38mn, réalisé par Stratis Vouyoucas et Nicolas Ripoche autour de Bled number one
Deux séquences commentées
Neuf séquences non commentées
Il y a également une partie DVD-Rom:
- Scénario du film
- Parole de la chanson Nous les enfants d'Algérie
- Poème Le Petit vagabond de William Blake (version française et anglaise)
- Paroles de la chanson Don't Explain de Billie Hollyday - Biographies de Rabah Ameur-Zaïmeche, Meriem Serbah, Abel Jafri et Rodolphe Burger.