Ridicule

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47’52” à 50’ environ (= 2’ 08” env.)*

 

*Le minutage peut varier de quelques secondes selon le moyen de visionnement (projecteur) ou de lecture utilisé (lecteur DVD, ordinateur…).

 

Ponceludon peut enfin approcher le Roi grâce à Mme de Blayac. La séquence, qui rassemble le propos de Ridicule, s’ouvre sur ce qu’on peut appeler un « plan-portrait » (gros plan serré) du baron de Guéret, un des nombreux solliciteurs attendant la faveur du Roi. Il a fini par s’endormir ce qui laisse entendre que c’est une sorte d’habitude. La cérémonie s’inscrit ainsi dans l’éternité de Versailles, où règne un ordre immuable – ou qui veut l’être.

 

Un léger travelling avant (47’57”) nous rapproche de Ponceludon et de Bellegarde dans l’enfilade de courtisans attendant la venue du monarque. Conversation banale suivi d’une non moins banale suite de champs-contrechamps. La routine de la cour en quelque sorte !

 

En prenant la « salle d’attente » de Versailles du fond (48’25”), courtisans de dos, Patrice Leconte affirme sa volonté de nous dévoiler l’envers du décor comme de ne pas mettre ce décor en avant, comme dans la plupart des films historiques : Versailles ne passe pas avant les personnages. Et le décor n’a pas, ici, une fonction « décorative » : il exprime l’ordre, la docilité des courtisans, pareils à de petits écoliers sur les bancs d’une école.

 

Les confidences de Bellegarde reprennent. Le travelling mêlé d’un panoramique vers le tableau donne la clé de la démarche du film : expliquer et commenter en même temps que faire découvrir les mœurs et pratiques de la Cour de Louis XVI. De même que ce qu’il y a à voir continue à se cacher entre des séries de champs-contrechamps de Ponceludon et Bellegarde, le gros plan du tableau (48’35”) nous révèle ce qui s’y cache : l’œil du roi, qui choisit en douce les courtisans qui auront l’honneur de se joindre à lui pour une cérémonie montrée à la séquence suivante. Tout est affaire de regard dans ce monde où chacun regarde l’autre et se regarde lui-même regardé. Cette découverte introduit la tonalité de la séquence qui est aussi celle du film : la cocasserie. La visite que propose Bellegarde à Ponceludon comme celle que nous propose Patrice Leconte vise moins au documentaire historique qu’à nous faire saisir les travers presque burlesques de cet univers quand ils ne sont pas tragiques.

 

C’est d’ailleurs Bellegarde qui redirige notre regard (et la caméra) vers le baron de Guéret, toujours en proie à un penchant au sommeil.Comme pour illustrer le propos, on voit aussi et surtout, dans le trou laissé entre le baron et son voisin à droite du cadre l’abbé de Vilcourt regardant avidement à la recherche d’une proie comme on imagine inconsciemment que le roi le fait lui-même, invisible derrière le tableau désigné par Bellegarde.

 

La réaction de Ponceludon rejetant l’abaissement qu’il voit chez le baron laisse présager un changement de ton. Pourtant le jeune homme ne saurait encore deviner le rôle de l’abbé et lui-même est en fait animé des mêmes espoirs que le vieux de Guéret…

 

L’arrivée de l’huissier (49’10”) annonçant le nom des heureux élus obéit au même principe visuel : l’homme sort de l’ombre dans un espace visuel limité, mais que l’œil du (des) spectateur(s) ne saurait manquer.

 

Pendant l’appel, Ponceludon et Bellegarde sont comme au garde-à-vous. La vision frontale souligne leur implication soudain bien plus grande dans la scène : leurs échanges étaient filmés jusqu’ici de biais, les isolant dans un entre-deux, mais c’est la fin des apartés. Et, de fait, c’est aussi le silence des deux personnages qui marque ce tournant de la séquence : il les réunit, cette fois, au reste des courtisans. Ponceludon rejoint d’ailleurs leur lot commun : soudain, sa vie semble suspendue aux lèvres d’un huissier qui dira ou ne dira pas son nom. Attente renforcée lors qu’un des appelés se lève derrière eux qui semblent l’ignorer alors qu’il matérialise leur rêve le plus cher.

 

Lorsque vient le tour de Ponceludon, un changement de plan fait succéder à son mouvement celui du provincial de la Dombes, voisin du baron de Guéret, mais la caméra choisit de suivre l’abbé de Vilcourt appelé précédemment. Comme si elle voulait indiquer l’équivalence entre l’attitude du courtisan de Vilcourt et celle du jeune homme. Or l’abbé ne se contente pas de se diriger vers l’entrée du saint des saints, mais s’arrête devant le baron de Guéret et s’agenouille devant lui comme pour une prière 49’50”). Un gros plan de son geste ôtant la chaussure du baron et révélant un orteil passé par le trou de la chaussette.Ce plan est plus obscène encore que le geste même de l’abbé ou que la phrase sacrilège (« Un vrai Jésus ! ») qu’il prononcera en jetant le soulier dans la cheminée. Il expose au grand jour la gêne matérielle de celui-ci, symbolisée par une chaussette trouée embarrassante. Patrice Leconte nous laisse, pour ainsi dire, seuls face à un doigt de pied. Ce gros orteil est comme le sexe de Milletail dans la séquence d’ouverture : il fait surgir le corps dans le monde de l’esprit et annonce en cela un dérèglement.

 

Sans rien perdre de sa majesté, l’abbé jette la chaussure du baron au feu. Patrice Leconte fait surgir la chaussure en gros plan, comme l’orteil précédemment. Ce rapprochement de l’ordre de la métonymie, indique clairement que cette chaussure qui brûle, c’est le baron lui-même qui est jeté dans les flammes. Ce sont bien sûr celles de l’enfer, le seul auquel peut croire un abbé comme Vilecourt : l’enfer du ridicule. Il est la toile de fond de tout le film, la menace qui y plane, et ici, on en voit le feu féroce.