Hiver de Léon (L’)

Catégorie :

L’analyse commence après que le hérisson ait rejeté Léon.


Un personnage dans le brouillard

L’atmosphère de cette scène est poétique grâce à un agencement méticuleux de détails graphiques et sonores. Les éléments naturels traduisent et/ou accroissent la confusion de Léon. Est-t-il un animal ou un être humain ? Quelle est sa place ?Une légère nappe de brume flotte au-dessus de l’eau. Les trois plans montrant Léon assis sur la berge jouent avec la notion de champ infini. En effet, la brume blanche permet aux réalisateurs de créer un espace infini et mystérieux. Elle s’engouffre entre les arbres. On ne parvient plus vraiment à distinguer une frontière précise entre l’eau et la forêt.

Cette création de niveaux de décor afin de créer un horizon indiscernable peut faire penser au travail du dessinateur et peintre animateur russe Youri Norstein. On peut particulièrement penser à son court-métrage, Un hérisson dans le brouillard (1975). Ce film raconte l’errance d’un petit hérisson à la recherche de son ami ours. Il traverse des lieux pourtant familiers, mais la brume fait naître un monde onirique, à la fois fascinant (un cheval blanc, un éléphant lui apparaissent) et effrayant (une chauve-souris le fraule).

On peut évidemment penser que le personnage du hérisson dans Léon est un clin d’œil au chef d’œuvre de l’artiste russe. Ce hérisson n’a de cesse d’apparaître et de réapparaître dans l’Hiver de Léon. C’est un personnage étrange qui est lié au monde féérique des contes grâce à un objet magique : la pomme dorée. C’est également sa parole qui provoque le trouble de Léon. C’est lui qui l’entraîne dans cette phase de réflexion sublimée par une esthétique onirique.

Ce film d’animation russe a été réalisé à partir de papiers découpés. Diverses techniques ont été créées et appliquées par l’animateur (et sa femme, l’artiste peintre Franceska Yarbousova) afin que le rendu visuel soit presque d’ordre tactile pour le spectateur. Une sensation que permet l’animation en volume. Les réalisateurs de Folimage ont exploité les diverses possibilités de la prise de vue numérique. Elle leur a permis d’intégrer divers éléments (dessins peints, personnages en latex, effets de brume, décors en carton, etc) dans un même cadre afin de créer une représentation poétique de la vie.

La berge de la rivière est un lieu familier pour Léon (comme le jardin pour le hérisson de Norstein). Pourtant, l’atmosphère donne une autre envergure à cet endroit. Les flocons de neiges sont représentés par de petits ronds dont les contours sont flous. Un choix graphique qui donne un aspect presque surnaturel à cette neige qui tombe sans bruit. Elle semble descendre du ciel sans jamais atteindre le sol. Une immatérialité fantastique qui s’accorde avec celle de la brume.
Le visage de Léon ne se reflète pas sur l’eau mais sur la glace. L’image qu’elle lui renvoi n’est pas nette. Un reflet brumeux laisse juste deviner ses traits. Ce « miroir » un peu flou peut symboliser le trouble qui agite Léon. De même que dans le film de Youri Norstein, la brume révèle les craintes et les incertitudes enfantines.Seuls les flocons sont en mouvement.

Un plan d’ensemble dévoile un décor figé. L’eau est gelée et les arbres gigantesques givrés. L’ampleur et la froideur du décor mettent en avant l’esseulement de Léon, seul être « vivant » au milieu de ce décor glacé. Un calme qui rompt avec l’agitation perpétuelle qui émane du film. La glace fige l’eau qui est généralement représentée en mouvement constant. En effet, la rivière semble dans beaucoup de scène comme agitée par des milliers de petites vaguelettes faisant penser à des poissons plongeant à tour de rôle.

Le blanc frigorifie et participe à l’épure du décor. Décor qui dans presque tout le film est riche de couleurs vives. En particulier les scènes se déroulant à Balthazar Ville. Nous sommes loin de son effervescence, du marché, et des animations improvisées.


Ellipses

Le calme de la nature est propice à l’introspection. Léon est cependant troublé un instant par un groupe d’enfants qui l’interpellent. Leurs réflexions mettent en avant l’étrangeté de Léon. Il n’est pas un enfant comme les autres. Cette différence est figurée par le montage. En effet, les enfants et Léon ne sont jamais montrés dans le même cadre. Nous entendons tout d’abord leurs cris hors-champ, Léon tourne la tête dans la direction des voix. Le plan suivant est plus rapproché, afin que nous puissions mieux observer les réactions de l’ourson. Il ne les regarde plus vraiment, il s’enlève la masse de neige qu’il a reçue dans le cou. Le plan suivant nous dévoile les trois enfants qui rigolent et font des grimaces en le pointant du doigt. Même s’il fait mine de les ignorer les plaisanteries des enfants le touchent. Détail perceptible grâce au son.

En effet, les moqueries et les rires des enfants résonnent au tout début du plan où Léon est assis par terre dans sa maison. Ce travail du son permet de faire comprendre que Léon pense encore aux remarques du groupe. Sa différence le hante. Le travail sonore sur la voix des enfants (elle devient de moins en moins audible et similaire à la résonance d’un écho) sert aussi d’ellipse. Le son harmonise la transition entre deux lieux différents : la berge et la maison de Léon.
La séquence de la maison repose sur plusieurs ellipses. Léon reste dans la maison, mais il apparaît dans chaque plan à un endroit différent : par terre, vers la table et enfin dans son lit. L’éclairage joue un rôle pour rendre perceptible le temps qui passe. Nous ne sommes plus au même moment de la journée quand la mère vient regarder l’ourson par la fenêtre et quand le père la rejoint. La nuit est tombée. Les changements de cadre et de posture de Léon signifient aussi que le temps passe. La musique permet de créer un lien narratif qui s’accorde au montage. Un thème qui joue sur la répétition d’une même phrase musicale qui nous indique que Léon réfléchit toujours à la même chose.


Minutie sonore

Dans sa maison, Léon s’isole aussi. L’atmosphère est tout aussi glaciale que sur la berge. La disparition de toute chaleur familiale est signifiée par l’absence de feu dans la cheminée. Le craquement et les couleurs chaudes et vives du feu apportaient une douce présence dans la maison (dans la scène où ses parents lui ont offert la canne à pêche). Mais cette fois-ci la pièce est silencieuse.

Cette scène dans la maison joue avec finesse sur de légers détails sonores. Le silence permet de percevoir le petit grincement qui précède l’arrivée de sa mère derrière la porte. C’est ce petit bruit qui attire l’attention de Léon qui tourne la tête une fraction de seconde. On entend à nouveau ce même craquement lorsque son père rejoint sa femme derrière la fenêtre. Même le plus petit des sons apporte des informations à Léon et/ou au spectateur. Par exemple, c’est l’infime soupir de l’ourson qui nous indique que c’est son souffle qui éteint la bougie qui se trouve devant lui sur la table.

Rejet des autres

Léon repousse sa mère en feignant de l’ignorer. Ses parents restent à la porte. Ils sont les spectateurs impuissants du trouble de leur fils. Cette exclusion est signifiée parla composition du cadre. Nous les voyons de l’intérieur. Leur tête est comme cloisonnée par la petite fenêtre. En effet, un grillage et une barre en bois horizontale dans l’encadrement de la fenêtre peuvent symboliser les barrières désormais dressées entre les parents et Léon.
Dans cette séquence, Léon devient un animal en cage. Il est observé de l’extérieur à travers un petit grillage. Un moment qui préfigure son intégration de la petite troupe de Boniface. Travailler pour le conteur lui permet d’appréhender le vrai rôle d’un ours en tant qu’animal. Cependant, il déchantera vite. Il sera maltraité et enfermé dans une petite roulotte par son maître.

Même les abeilles sont bannies par Léon. Elles semblent pourtant assumer le rôle d’anges protecteurs depuis sa naissance. En effet, quand l’ourson était bébé, elles semblaient déjà former une auréole lumineuse au-dessus de sa tête. Il les balaye de la main comme de vulgaires mouches. Ainsi il se libère de tous les êtres qui sont liés à son enfance et à une identité qu’il n’assume plus.
À la fin de la séquence, c’est au tour du spectateur d’être rejeté. Dans son lit, Léon finit par nous tourner le dos.