The Lunchbox

Allemagne, France, Inde (2013)

Genre : Romance

Écriture cinématographique : Fiction

Prix Jean Renoir des lycéens 2013-2014

Synopsis

Ila, une jeune femme délaissée par son mari, se met en quatre pour tenter de le reconquérir en lui préparant un savoureux déjeuner. Elle confie ensuite sa lunchbox au gigantesque service de livraison qui dessert toutes les entreprises de Bombay. Le soir, Ila attend de son mari des compliments qui ne viennent pas.
En réalité, la Lunchbox a été remise accidentellement à Saajan, un homme solitaire, proche de la retraite. Comprenant qu’une erreur de livraison s’est produite, Ila glisse alors dans la lunchbox un petit mot, dans l’espoir de percer le mystère.

Distribution

Irrfan Khan : Saajan
Nimrat Kaur : Ila
Nawazuddin Siddiqui : Shaikh
Denzil Smith : M. Shroff
Bharati Achrekar : Mme Krishnan
Nakul Vaid : Le mari d’Ila
Yashvi Puneet Nagar : Yashvi
Lillete Dubey : La mère d’Ila

Générique

Durée : 1h42

Scénario et réalisation : Ritesh Batra
Production : Guneet Monga, Anurag Kashyap, Arun Rangachari

Image : Michael Simmonds
Montage : John F. Lyons
Direction artistique : Shruti Gupte
Son : Michael Kaczmarek
Musique : Max Richter

Autour du film

Article du 10 décembre 2013, À voir à Lire :

Auteur de nombreux courts-métrages sélectionnés dans plusieurs festivals, le réalisateur indien Ritesh Batra passe pour la première fois le cap du long avec The Lunchbox qui se pose en rupture par rapport au cinéma commercial de Bollywood. Effectivement, ici point de genre dont on respecterait les règles à la lettre, ni même de numéro musical puisque le cinéaste semble plutôt s’inspirer des œuvres sociales d’auteurs aussi prestigieux que Satyajit Ray ou plus récemment Mira Nair. Ritesh Batra préfère s’attarder sur le quotidien morne de la classe populaire à travers une histoire d’amour épistolaire séduisante, lui permettant ainsi de dire deux ou trois choses importantes sur la société de son pays. Durant le premier quart d’heure, il décrit le système très étonnant des lunchbox qui offre à des milliers d’Indiens l’opportunité de se faire livrer le repas préparé par leur épouse directement à leur travail. Ce boulot qui occupe pas moins de 5 000 livreurs tous les jours est un modèle d’organisation, tant et si bien que rares sont les erreurs de livraison.

Le cinéaste s’engouffre pourtant dans une des brèches du système pour effectuer un rapprochement inattendu entre une jeune femme mariée, cloîtrée à la maison, et un employé de bureau à la veille de la retraite. Par le biais d’une erreur de livraison, les deux êtres qui ne se seraient jamais rencontrés vont peu à peu se lier d’amitié (et plus ?) par une relation épistolaire. Les lettres, dissimulées dans la fameuse lunchbox, sont d’abord laconiques, avant d’être l’occasion pour les personnages d’épancher leur cœur et de soigner le mal qui les ronge tous les deux : la solitude. Si Ritesh Batra n’hésite pas à recourir à l’humour pour faire passer certaines situations, il signe un script d’une rare finesse où rien n’est appuyé. La tonalité d’ensemble est donc celle d’une œuvre assez mélancolique où l’individu apparaît comme négligeable au sein d’une collectivité écrasante (l’Inde est actuellement le deuxième pays le plus peuplé du monde et devrait arriver en tête d’ici une quinzaine d’années).

Sans jamais s’appesantir, l’auteur nous montre avec beaucoup de recul le tourbillon infernal dans lequel sont plongés beaucoup d’Indiens, voués à travailler toute la journée pour parvenir à développer un pays en pleine émergence. Au passage, il égratigne aussi le modèle familial indien et dénonce l’air de rien la condition des femmes, dont beaucoup sont enfermées à la maison pour servir leur mari et leurs enfants. S’immisçant doucement, l’émotion gagne progressivement le spectateur qui est emporté par cette belle histoire, contée avec simplicité et efficacité. Il faut dire que l’ensemble est servi par d’excellents acteurs dont un Irrfan Khan (le conteur de L’odyssée de Pi) tout en intériorité.

Pistes de travail

Les dabbawallahs

C’est une série de vignettes, montage d’images prises sur le vif, qui ouvre The Lunchbox. Nous sommes en mode documentaire, au cœur d’un vaste capharnaüm urbain. Bombay, la ville-monde. Ville-monstre. Ses rues, ses trains, ses trottoirs, tout déborde de gens. Au milieu, apparaissent progressivement des hommes coiffés d’un petit chapeau blanc, arrivant des lointaines banlieues en gare de Churchgate, située au centre de la ville. Ces hommes, ce sont les dabbawallahs, livreurs-équilibristes de plats mitonnés par des épouses, des mères ou des cuisinières. Descendus des trains, ils se regroupent sur le trottoir, procèdent à des tris, des redistributions rapides de lunchboxes. Toutes sont frappées de points de couleur, lettres ou chiffres qui correspondent à la destination finale de chaque repas. Les plateaux sur lesquels elles sont rassemblées par grappes pèsent jusqu’à 80 kilos.
Les dabbawallahs s’emparent ensuite de leur chargement de 35 lunchboxes qu’ils posent sur leur tête, sur une charrette ou qu’ils attachent à leur vélo, direction l’adresse où travaillent les cadres et employés de bureau. Ils doivent alors se frayer un chemin au milieu des embouteillages, éviter les passants, protéger leurs gamelles aux savoureux contenus. Chacun d’eux parcourt quotidiennement une distance pouvant atteindre 70 à 80 kilomètres (retour à vide compris). Aucune technologie moderne ne vient les aider dans leur travail dont l’efficacité a même été étudiée par l’université américaine d’Harvard. Un repas sur un million, dit-on, ne serait pas livré à la bonne adresse !
Vieille de 120 ans, l’association des dabbawallahs réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de quelque 7 millions d’euros. Tous sont partenaires de leur entreprise, moyennant un petit apport financier pour intégrer des équipes composées de 20 à 30 personnes. Ils gagnent en moyenne 5 000 roupies par mois (100 euros, équivalents au salaire moyen) et se transmettent généralement leur métier de père en fils. Enfin, le service d’un dabbawallah coûte environ 6 euros par mois aux clients.

Mise en scène à risques

Hollywood plutôt que Bollywood. Batra a fait le choix d’une recette classique, connue du public occidental, plutôt que celle, épicée de chansons et de danses étourdissantes, du cinéma indien. Plus vendeuse, assurément. Pour autant, il lui restait un défi de taille à relever : éviter la mécanique rébarbative de l’échange de lettres, avec lecture en voix off et présence des épistoliers à l’écran. Il y est parvenu – avec brio – en fondant sa dramaturgie sur le seul jeu des acteurs, faisant l’économie des lectures de lettres aussi souvent que possible. Les mimiques, et le silence qui les accompagne, en disent souvent plus long que les mots supposés. Mais surtout, Batra a donné à ses personnages une consistance qui évite de faire d’eux des êtres désincarnés. Bien que les situant dans leur milieu respectif (dispositif qui aurait pu également les réduire à des stéréotypes), le cinéaste les a flanqués d’un partenaire – Auntie la voisine pour Ila, Shaikh le nouveau collègue pour Saajan –, ce « double » étant toujours l’occasion d’un petit enjeu de mise en scène propre à enrichir les portraits.

Portrait de femme seule

Chaque personnage a donc une histoire, une existence propre à l’écran, que les scènes développent chaque fois un peu plus. La relation qu’Ila entretient avec Auntie, présente et absente à la fois (on l’entend sans jamais la voir), renvoie constamment la jeune femme à elle-même. Chacune de ses conversations avec sa voisine du dessus s’achève par des instants de silence et de soupirs oppressés. Délaissée par son mari et enfermée entre ses quatre murs, Ila est une femme seule, désespérément seule. Auntie joue ici le rôle du chœur antique, voix de la sage ironie, expression révélatrice du drame ordinaire de l’épouse et mère au foyer qui se joue dans l’enfermement de son appartement (la mise en scène tient aussi d’un certain théâtre à l’italienne). C’est pourquoi l’erreur du dabbawallah apparaît à Ila comme une chance qu’elle n’hésite pas trop longtemps à saisir. Les lettres, toujours inoffensives, qu’elle glisse dans ses lunchboxes apparaissent comme des appels à la parole échangée, à la considération, à la reconnaissance du soin et de l’amour (ingrédients aussi précieux que nécessaires) qu’elle met dans sa cuisine. Ces lettres sont aussi des bouteilles lancées vers l’inconnu qui saura la sauver de sa solitude et de son ennui. Et, à mesure qu’elle se raconte, elle se sent écoutée, entendue. Elle se sent vivre à nouveau.

L’autre est un ami

À l’autre bout de la chaîne des dabbawallahs, il y a donc Saajan, le comptable proche de la retraite, qui lui aussi s’ennuie ferme dans l’existence. L’homme est seul depuis la mort de sa femme, et il vit en reclus au milieu des autres qu’il ne comprend plus. Il est comme un fantôme dans le monde, qui inquiète les enfants quand il les approche ou les regarde par sa fenêtre. Le temps semble s’être arrêté pour lui depuis longtemps. Il est l’homme des cassettes VHS, des souvenirs, du passé. Ses regards à la pendule de son travail ou au ventilateur au-dessus de son lit le renvoient constamment au temps qui passe, au sens de l’existence. Or, quand débarque l’aimable Shaikh qu’il est censé former avant son départ, Saajan se conduit avec cynisme et mépris. Il ne se sent plus concerné par le monde qui l’entoure, n’estime plus pouvoir lui être utile. Aussi, les ressorts dramatiques de cette histoire à visage humain révèlent progressivement la chair sous le cuir. Saajan réapprend bientôt à sourire, à reconsidérer son être et sa vie, grâce aux dons des autres : à l’affection d’une parfaite inconnue, à la touchante pugnacité d’un nouveau venu. Lequel, orphelin, doit également lutter contre la solitude et l’adversité pour être reconnu. En lui, Saajan trouvera un ami qui redonnera du sens à sa vie. Avec Ila, Saajan et Shaikh, tous issus de groupes et milieux sociaux différents, Batra nous offre le portrait attachant d’une classe moyenne indienne. Entre humour et gravité, il nous invite à n’accepter aucune fatalité. Il nous dit d’être à l’écoute de l’existence, d’être en capacité d’en emprunter parfois les chemins détournés pour  mieux se voir, s’entendre et se rencontrer. Se retrouver avec les autres.

Extrait du dossier pédagogique du réseau Canopé