The Artist

France (2011)

Genre : Comédie, Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Prix Jean Renoir des lycéens 2011-2012

Synopsis

Hollywood, 1927. George Valentin est une vedette du cinéma muet est connaît un succès incroyable. L’arrivée des films parlants va le faire sombrer dans l’oubli. Peppy Miller, jeune figurante, va elle, être propulsée au firmament des stars. The Artist raconte ce basculement et montre à quel point la célébrité, l’orgueil et l’argent peuvent être des obstacles à leur histoire d’amour…

Distribution

Jean Dujardin : George Valentin
Bérénice Bejo : Peppy Miller
John Goodman : Al Zimmer
James Cromwell : Clifton
Ann Miller : Doris
Missi Pyle : Constance
Beth Grant : La domestique de Peppy
Joel Murray : Un pompier

Générique

Durée : 1h40
Noir & Blanc – Muet

Scénariste et dialoguiste : Michel Hazanavicius
Producteur : Thomas Langmann

Compositeur : Ludovic Bource
Superviseur musical : Jérôme Lateur
Directeur de la photographie : Guillaume Schiffman
Monteur : Michel Hazanavicius
Monteuse : Anne-Sophie Bion
Directeur artistique : Gregory S. Hooper
Chef décoratrice : Laurence Bennett
Décorateur : Robert Gould
Directrice du casting : Heidi Levitt
1er assistant réalisateur : James Canal
1er assistant réalisateur : David Allen Cluck
Costumier : Mark Bridges
Maquilleuse : Clarisse Domine
Maquilleuse : Julie Hewett
Coiffeuse : Cydney Cornell

Autour du film

Critique « LE MONDE » du 11 octobre 2011, par Isabelle Regnier

Le fait que Michel Hazanavicius réalise un film muet, en noir et blanc, tourné à Hollywood, avec Jean Dujardin dans le rôle principal, ne surprendra pas ceux qui connaissent son travail. Cette tambouille improbable propre à faire bondir tout cinéphile qui se respecte porte en effet, et en profondeur, l’empreinte de son auteur. Formé à la télévision, celui-ci a lié son destin à Jean Dujardin en le mettant en scène dans les deux adaptations parodiques des romans de Jean Bruce, OSS 117, Le Caire nid d’espions, et OSS 117, Rio ne répond plus. Une dizaine d’années plus tôt, il avait réalisé, pour Canal+, un premier long métrage vite devenu culte, La Classe américaine, monté à partir d’extraits du catalogue de la Warner et dans lequel il faisait parler des acteurs américains, comme John Wayne ou Robert Redford, dans un français grand-guignolesque.

Les OSS 117 étant des films de commande, on leur associa plus spontanément les noms de leurs producteurs, les frères Altmayer, et de Jean Dujardin, que celui du réalisateur qui resta dans l’ombre. Mais depuis la sélection de The Artist à Cannes, et bien que Jean Dujardin ait reçu un prix d’interprétation pour cela, le nom Hazanavicius est devenu plus familier. Il pourrait le devenir plus encore si le film se retrouvait, comme on commence à le dire, en compétition pour les Oscars.

Rétrospectivement, ce destin, exceptionnel pour une comédie française, trouve de nombreuses explications, à commencer par le fait qu’étant muette, et tournée à Hollywood, elle n’a en apparence rien de français. Le muet permet en outre d’associer aux acteurs français Jean Dujardin et Bérénice Bejo des stars américaines comme John Goodman ou James Cromwell dans les rôles secondaires, sans que se pose la question de la barrière linguistique.

L’histoire, par ailleurs, est connue, elle a fait ses preuves. A peu de chose près, c’est celle de Chantons sous la pluie, autrement dit celle de la révolution sonore du cinéma racontée à travers les destins croisés de deux acteurs hollywoodiens : George Valentin (Jean Dujardin, dont le jeu hyperexpressif s’épanouit à merveille dans le cadre du muet), une star au faîte de sa gloire à la fin des années 1920 qui va brutalement sombrer dans l’oubli, et Peppy Miller (Bérénice Bejo, pétillante à souhait), une starlette qui commence dans le même temps une fulgurante ascension.

La réussite du film tient à la manière joyeuse dont Michel Hazanavicius s’empare du cinéma d’antan avec les outils du cinéma d’aujourd’hui. Plus qu’un voyage dans le temps, The Artist est une plongée dans l’histoire du cinéma qu’il transforme, un peu comme aime à le faire Quentin Tarantino, en un gigantesque terrain de jeu. Le programme est donné dès la première image, quand s’affiche le logo de la Warner en noir et blanc, comme dans un film des années 1930, mais avec la netteté clinique de l’image numérique. Tout le film tient dans ce décalage, comique le plus souvent, entre la familiarité des références et la bizarrerie de l’usage qui en est fait.

Il commence dans une grande salle de cinéma, pendant une projection où tout le monde fume et personne ne parle. Le premier gag intervient quand les lumières se rallument, et que les lèvres commencent à bouger sans que l’on entende le son d’une voix : dans un gag qui pourrait avoir été conçu par Philippe Katerine (on pense souvent pendant le film à la chanson Louxor J’Adore « Et je coupe le son…/Et je remets le son ! »), le film se révèle aussi muet que le film dans le film. De son coffre à jouets, Michel Hazanavicius sort, au gré de ses lubies, le sourire de Rudolph Valentino, la moustache de Douglas Fairbanks, les mouvements de Gene Kelly… Il fusionne les scénarios de Chantons sous la pluie et de Sunset Boulevard, y ajoutant une réplique de la célèbre mascotte canine de Pathé Marconi, « la voix de son maître ».

Comme Tarantino l’avait fait dans Inglourious Basterds, le cinéaste français instrumentalise les propriétés inflammables du nitrate pour donner un peu de panache à sa tragédie. Car il faut bien l’avouer, une fois tous les gags cinéphiles exploités, quand la comédie bascule dans le drame, l’émotion est ce qui fait défaut. Malgré le jeu impeccable de ses acteurs – de Dujardin en particulier, qui passe insensiblement de l’outrance du muet à un registre beaucoup plus subtil – et alors que sur fond de révolution sonore se noue une histoire d’amour douloureuse et passionnée, rien ne vibre à l’écran. Comme si, en s’appropriant l’âge d’or du cinéma, l’image numérique la figeait dans un bain de formol.

Pistes de travail

Le passage du muet au parlant

Une révolution technologique

L’action de The Artist se déroule en 1927, année fondamentale dans l’histoire du septième art puisqu’elle marque l’apparition officielle du cinéma parlant aux États-Unis. Si des expériences de cinéma sonore avaient déjà été tentées auparavant, notamment par W.K.L. Dickson qui avait synchronisé le son d’un phonographe avec le kinétographe d’Edison en 1889, c’est en 1926 que la compagnie américaine AT&T développa un système plus élaboré pour mettre en concordance le son du phonographe avec un projecteur de films : le vitaphone. En 1927, la Warner Bros utilise pour la première fois ce procédé pour Le Chanteur de jazz (The Jazz singer) d’Alan Crosland, un film muet qui contient quelques séquences sonores. Le studio Fox se met alors à travailler sur un procédé d’enregistrement optique du son permettant d’éliminer les problèmes de synchronisation entre image et bande sonore ; celui-ci deviendra la norme.

Une histoire traitée par le cinéma hollywoodien

Le réalisateur Michel Hazanavicius a délibérément situé son film au cœur de cette révolution technologique pour traiter une histoire souvent abordée au cinéma : la mise en parallèle de la chute d’une star et de l’ascension d’une autre. S’il revendique s’être inspiré d’Une étoile est née (A Star is born, 1937) de William Wellman, on ne peut s’empêcher de noter des similitudes entre The Artist et deux autres films traitant du passage du muet au parlant, Boulevard du Crépuscule (Sunset Boulevard, 1950) de Billy Wilder et Chantons sous la pluie (Singin’ in the rain, 1952) de Gene Kelly et Stanley Donen. 
Le personnage de George Valentin, ruiné et oublié de tous, regardant inlassablement les films du temps de sa splendeur, rappelle celui incarné par Gloria Swanson, elle-même ancienne star du muet, tout comme celui qu’incarne Buster Keaton dans le chef-d’œuvre de Billy Wilder. Quant au personnage de Clifton, fidèle parmi les fidèles, il fait  forcément penser au valet dévoué qu’incarne Eric Von Stroheim dans Sunset Boulevard. Mais au-delà des correspondances entre personnages, le film joue d’un parallélisme diégétique, tout particulièrement avec Chantons sous la pluie. L’argument est le même : la difficulté pour une star du muet de passer au parlant et la solution qu’il va trouver avec l’aide d’une jeune figurante en pleine ascension en créant un film musical. Des séquences de The Artist répondent étroitement à celles de Chantons sous la pluie, comme les scènes d’ouverture qui exposent les avant-premières des films de leur héros et relatent chaque fois la mésentente avec leur partenaire féminine, ou la critique du jeu des stars du muet réduit à une simple pantomime, exprimée par la jeune starlette en pleine ascension. 

Les conséquences économiques et esthétiques de l’apparition du parlant

Au-delà de ce regard en arrière sur le cinéma, The Artist traite de la transmission à la génération suivante et de l’évolution technologique. Ces deux questions interrogent avec acuité le cinéma contemporain, en 2011, avec l’apparition du tout numérique et de la trois dimensions (la 3D). Comme à la fin des années 1930, on assiste aujourd’hui à la disparition de certains métiers liés à la pellicule 35 mm et à des changements économiques et esthétiques qui affectent l’écriture, la production, la projection comme la réception du film.
En son temps, l’apparition du cinéma parlant a entraîné un coût de production plus élevé, avec la fabrication de cabines insonorisées sur les tournages, de haut-parleurs et de nouveaux projecteurs dans les salles. Les petites salles ferment et Hollywood contrôle davantage la distribution filmique. On assiste à la disparition des bonimenteurs et des musiciens qui accompagnaient la diffusion des films. D’un point de vue esthétique, les mouvements de caméra disparaissent dans un premier temps, et du fait des cabines insonorisées, le montage est altéré par l’impossibilité de modifier ou de reprendre les enregistrements sonores. Les acteurs adaptent leur jeu à la présence mais surtout à la taille imposante des microphones en dirigeant leur voix en fonction de leur emplacement. Nombre d’entre eux ne supportent pas l’arrivée du parlant et sont évincés lorsqu’on leur découvre une diction approximative ou un timbre de voix inattendu. Ils sont alors contraints d’abandonner leur carrière comme Gloria Swanson. Pour ses personnages de Peppy Miller et George Valentin, Michel Hazanavicius a pris modèle sur le couple de vedettes du muet John Gilbert et Greta Garbo. Tandis que « la Divine » réussit à poursuivre sa carrière triomphale dans les « talkies », John Gilbert voit sa carrière décliner inexorablement à partir de 1927. 

Quand le silence se fait entendre

Faire parler l’image

Réaliser un film en 2011 pour rendre hommage à l’âge d’or du cinéma muet hollywoodien en lui empruntant sa forme témoigne, chez Michel Hazanavicius, d’une certaine audace cinématographique ainsi que d’une réflexion sur la manière de combler l’absence de dialogues, ce flux continu auquel les spectateurs contemporains sont accoutumés jusqu’à la dépendance. 
 À cette fin, le réalisateur a utilisé la musique d’inspiration hollywoodienne pour surligner des situations, celle-ci étant selon lui « la main gauche du scénario ». Afin de faciliter l’appréhension de la diégèse par le spectateur, il recourt aux intertitres pour ponctuer la progression des enjeux dramatiques et il rend l’image « parlante » en disposant dans ses plans un ensemble de signes pour souligner, dans une redondance assumée, les sentiments ou rôles des personnages. Ainsi, juste après la vente aux enchères des objets de George Valentin, la star déchue se retrouve seule dans la rue ; en arrière-plan, un cinéma diffuse un film intitulé Lonely star (L’Étoile solitaire) et le héros est observé de sa voiture par Peppy Miller qui vient de faire acheter toutes ses affaires. Michel Hazanavicius a inclus dans la scène un autre cinéma qui, lui, projette un film intitulé Gardian Angel (L’Ange gardien). L’image signifie donc à la fois par la bande-son musicale, les cartons et les symboles internes au plan.

Faire parler le silence

Dans d’autres séquences, le réalisateur n’hésite pas à renoncer au son, soulignant alors son absence de manière spectaculaire. C’est le cas lors de l’avant-première du film de George Valentin : alors qu’on s’attend à entendre un tonnerre d’applaudissements, seul le silence vient déchirer la scène mais l’on voit des centaines de spectateurs applaudir. Le spectateur se trouve ainsi initié au dispositif choisi par le réalisateur.
Un silence absolu accompagne plusieurs scènes de tension dramatique : c’est le cas dans celle où George Valentin refuse de parler à sa femme et où l’incommunicabilité conjugale est soulignée par le silence qui s’élève du tourne-disque en marche. C’est aussi le cas dans celle où il découvre la rue enfin désertée par le chauffeur qu’il vient de renvoyer et, enfin, dans celle de la découverte de la tentative de suicide par Peppy Miller. L’absence totale de son ou de musique rehausse des situations porteuses d’enjeux dramatiques forts.

La tyrannie de la ressemblance

Dans Fahrenheit 451, tout se répète à l?infini. Clarisse et Linda se ressemblent, comme les speakers de l?émission de Linda ou les pompiers. Et, dans cette société où tous les êtres sont les mêmes, le narcissisme constitue le premier et dernier réflexe d?amour (le couple uni est totalement absent du film) : une jeune fille regarde son reflet qu?elle embrasse dans la vitre du monorail, une autre touche son manteau de fourrure, un jeune homme caresse son poignet et Linda son visage, le capitaine des pompiers offre une médaille à son effigie à ses soldats méritants. Ce qui est interdit ici, ce n?est pas seulement la lecture, mais le désir (premier pas vers la contestation). Fahrenheit 451 impose donc sa logique, insipide et suicidaire, de la copie et de la répétition.

Une introduction progressive au son

Michel Hazanavicius joue aussi de l’introduction du son diégétique dans un film muet de manière ludique en insérant un carton portant l’indication « Bang » lors de l’accident de voiture de Peppy Miller. L’onomatopée introduit un doute sur l’issue de l’événement dans l’esprit du spectateur car elle évoque le bruit de l’arme à feu avec laquelle George Valentin veut se suicider. Mais la séquence la plus spectaculaire de ce jeu sur le son est celle du cauchemar de George Valentin qui découvre le son que peuvent produire les objets et son chien tandis qu’il est dans l’incapacité d’en émettre le moindre. Son empêchement symbolise la voix inaudible de l’artiste réduit à néant, incapable de se faire entendre de son public ; la séquence annonce le suicide artistique de George Valentin dont le rejet des nouvelles techniques précipite la chute vertigineuse. Le film Tears of love (Larmes d’amour) qu’il décide de produire lui-même hors du cadre d’un studio provoque sa ruine financière. L’échec commercial du film tient autant à son refus de faire un « talkie » qu’à l’argument scénaristique choisi, celui d’un aventurier qui finit par agoniser dans des sables mouvants, sonnant définitivement le glas de son personnage positif.
Dans le même temps, la progression de Peppy Miller accompagne celle du son, et, de manière très symbolique, c’est par une interview radio qu’elle annonce la fin du cinéma muet. La première fois que l’on entend une voix sur une musique, c’est dans une chanson qui accompagne le défilement des affiches et des extraits de films la mettant en scène. Peppy Miller est le son, George Valentin est le silence et quand elle viendra à son secours, à la fois par admiration et par amour, elle assurera son retour triomphal non comme acteur parlant mais comme danseur, favorisant une transition en douceur vers les « talkies ». C’est dans ce finale éblouissant d’un numéro de claquettes que Michel Hazanavicius joue symboliquement une dernière fois avec la bande sonore en saluant le retour de George Valentin au cinéma, donc à la vie, par l’introduction progressive de sons intra-diégétiques (bruit des respirations, bruits du plateau et, enfin, sons des paroles humaines). 

Un hommage à l’âge d’or du cinéma muet hollywoodien

Michel Hazanavicius est un grand admirateur du cinéma muet et son vœu initial aurait été de réaliser un Fantômas à la manière d’un Louis Feuillade, avant de devoir y renoncer pour des raisons budgétaires. L’idée est alors née de rendre hommage à l’âge d’or du cinéma hollywoodien en tournant aux États-Unis dans des studios mythiques ou d’autres lieux constituant un terrain de jeu sans égal pour le réalisateur (le cinéma dans lequel se situe l’avant-première au début du film est celui de la pemière projection des Temps modernes de Chaplin). L’action de The Artist se situe d’ailleurs à « Hollywoodland », sorte de parc d’attraction du cinéma. Le scénario mis en place est une histoire simple afin de ne pas avoir à introduire trop de cartons. Selon le réalisateur, le genre s’adaptant le mieux au cinéma muet est celui du mélodrame. Pour mener à bien la reconstitution de cette époque tant du point de vue des éléments visuels filmés dans les plans que de la forme, Michel Hazanivicius a vu et revu entre 300 et 400 films muets à la Cinémathèque française à Paris et il a imposé le visionnement de nombreux films à son équipe pour qu’elle s’imprègne de cet âge d’or. Les références assumées en sont Fritz Lang (Les Espions notamment), Friedrich-Wilhelm Murnau, Frank Borzage, tandis que Bérénice Béjo emprunte à Joan Crawford, Marlene Dietrich et Gloria Swanson pour parfaire ses clins d’œil et ses attitudes (les mains sur les hanches) et créer son personnage pétillant de jeune starlette qui monte. Jean Dujardin regarde du côté de Douglas Fairbanks en faisant des bonds en permanence dans les extraits de films imaginaires tournés « à la manière de ».
Ces multiples références habitent le récit et font de The Artist un pur objet de cinéma, un hommage jubilatoire qui se garde du pastiche comme de la révérence. La précision de la reconstitution et celle de la mise en scène font du film une mise en abyme du cinéma muet (ouvertures et fermetures à l’iris), de l’âge d’or hollywoodien et, en profondeur, de l’histoire des techniques du cinéma. 

Dossier du réseau Canopé, rédigé par Cécile Marchocki, professeure d’histoire-géographie chargée d’enseignement cinéma-audiovisuel

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