Tetro

Argentine, États-Unis (2009)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Lycéens et apprentis au cinéma 2012-2013

Synopsis

Tetro est un homme sans passé. Il y a dix ans, il a rompu tout lien avec sa famille pour s’exiler en Argentine. A l’aube de ses 18 ans, Bennie, son frère cadet, part le retrouver à Buenos Aires. Entre les deux frères, l’ombre d’un père despotique, illustre chef d’orchestre, continue de planer et de les opposer. Mais, Bennie veut comprendre, quitte à rouvrir certaines blessures et à faire remonter à la surface des secrets de famille jusqu’ici bien enfouis.

Générique

Titre original : Tetro
Réalisation : Fancis Ford Coppola
Scénario :  Fancis Ford Coppola
Image : Mihai Malaimare Jr.
Son : Vicente d’Elia
Montage : Walter Murch
Musique : Osvaldo Golijov
Décors : Sebastián Orgambide
Production : American Zoetrope
Distribution : Memento Films Distribution
Couleurs
Durée : 2h07
Sortie en France : 23 décembre 2009
Interprétation
Vincent Gallo / Tetro
Alden Ehrenreich / Bennie
Maribel Verdu / Miranda
Carmen Maura / Alone
Klaus Maria Brandauer / Carlo, père de Tetro

Autour du film

Tetro : l’autobiographie rêvée de Francis Ford Coppola

Son prénom est Angelo. Son nom est Tetrocini. Tetro, le triste, est le surnom qu’il s’est choisi pour changer, renaître, oublier le passé. Il a mis de côté ses ambitions littéraires, il a coupé les ponts avec sa famille, s’est installé à Buenos Aires, où il vit avec une fille qu’il a connue à l’asile psychiatrique. C’est là que son jeune frère, employé d’une compagnie maritime, vient lui rendre visite, lui reproche de l’avoir abandonné, et se fait accueillir fraîchement.

Ouvertement autobiographique, Tetro, le nouveau film de Francis Ford Coppola, est l’un des seuls dont il ait écrit le scénario lui-même (avec Conversation secrète, 1974). Il ne se cache pas d’y évoquer les rapports qu’il eut avec son frère aîné, son modèle, disparu soudainement lorsqu’il était âgé de 14 ans. L’épisode avait déjà été suggéré dans Rusty James (1983). Le film recèle une autre clé : la rivalité entre ces deux musiciens que furent le père et l’oncle de Coppola, le second ayant un jour suggéré au premier de changer de nom afin de ne pas lui faire de l’ombre.

Le thème de Tetro est donc la rivalité, la sourde lutte que se livrent des hommes d’une même famille pour s’affirmer artistiquement. Dans la famille Tetrocini, le despote est le père, chef d’orchestre renommé, dont on célébrera les funérailles sur une scène de théâtre, dans une atmosphère de rancœur solennelle et de dérision. Un ogre séducteur qui aurait pu inspirer à Freud son Totem et tabou. Là encore, les fidèles de Coppola sont en terrain connu. Le Parrain II (1975) était l’histoire de deux frères dont l’un tue l’autre, tels Caïn et Abel, et qu’était le premier Parrain (1972) sinon l’histoire d’un père tyrannique flanqué de fils rivaux ? La réflexion de Tetro, au début du film, après qu’il s’est mis en retrait de son clan – « L’amour dans ma famille, c’est un couteau dans le dos » – vient en écho à celle du parrain Michael Corleone affirmant : « C’est ma famille, ce n’est pas moi. »

Ce film-là déroute, parce que, à la différence des œuvres les plus célèbres de Coppola, il se situe moins dans le tape-à-l’oeil que dans le contre-jour (le film est en noir et blanc à l’exception de flash-back en couleurs), moins dans l’exhibitionnisme et l’artifice que dans la pudeur. Du côté de Tennessee Williams, de Michael Powell (auquel le cinéaste rend hommage dans une scène inspirée de ses Contes d’Hoffmann), de Faust, de la danse et du théâtre, de la réflexion sur la création et sur les secrets, les démons intimes, plutôt que basé sur des considérations commerciales.
Il déroute aussi parce que Coppola s’était éloigné du cinéma, consacré à ses vignobles et à ses enfants, et qu’il revient, pas sénile pour un sou, avec une rare liberté de narration, une enviable vivacité de metteur en scène, pour creuser un sillon dans lequel il avait déjà laissé son empreinte : celui de la perpétuelle remise en question, du thème de la fuite, de l’autodestruction, de la tentation d’accumuler des références culturelles au risque de n’être pas compris.

Après L’Homme sans âge (2007), dans lequel un chercheur revivait sa vie à l’envers et s’enivrait du vertige d’une recherche d’un langage codé, Tetro est l’histoire d’un romancier qui se saborde, refoule son désir, camoufle un manuscrit que l’on ne peut lire que dans un miroir. Et l’histoire d’un héritier (frère ou fils, on n’en dira pas plus) qui, au prix d’une usurpation, oblige l’artiste à confesser ses vérités et à remettre son œuvre à l’endroit.

Vincent Gallo, qui incarne Tetro, n’a pas une jambe dans le plâtre pour rien. Il s’agit ici de castration affective et créatrice, d’un cœur brisé et d’un corps cassé. On n’est par en Argentine par hasard : c’est la patrie de Borges, écrivain de la confusion d’identités. Mélodrame au final d’opéra, le film honore avec virtuosité cet art du son et de la lumière qu’est le cinéma. Tic-tac d’horlogerie (on sait chez lui l’obsession du temps qui passe), battements d’ailes d’un papillon attiré par une ampoule électrique.

Mais signe de vie, symptôme de vérité, cette lumière est aussi instrument de mort. C’est parce qu’il est aveuglé par les phares d’une voiture que Tetro tue sa mère dans un accident (au cours duquel on entend le frôlement du papillon contre le verre). C’est en raison de l’appât de la gloire que le père a oublié d’aimer les siens. Même couronné par le « Prix des parricides », Tetro ne veut ni reconnaissance ni notoriété. « Le succès n’est rien« , dit-il. Assénée par Coppola, dont on sait la boursouflure narcissique, cette réplique acquiert un certain poids.

Jean-Luc Douin / Le Monde 22/12/2009

(…) Tetro est évidemment un film qui se rêve dans la compétition, au beau sens du terme : c’est-à-dire dans le dialogue avec le cinéma en train de s’inventer. En dépit des considérations commerciales. Pas un coup tranquille, pour se refaire. Plutôt un bras d’honneur. A l’époque, à la stature, au temps. A lui-même ? Non, pas à lui-même… sa fidélité à sa propre image lui tient compagnie, tant il est clair depuis au moins son précédent Youth Without Youth que Coppola ne cherche plus d’interlocuteur du côté de ses confrères cinéastes. Surtout pas ceux de sa génération estampillée «Nouvel Hollywood». Non, ses interlocuteurs sont des conteurs (prononcer avec un fort accent sud-américain). Buenos Aires autorise la comparaison avec Borges, autour duquel il ne cesse de rôder, et la citation furtive au détour d’un plan sur un lit d’hôpital de l’hallucinant Roberto Bolaño (écrivain chilien mort en 2003, auteur entre autres du roman-fleuve et délirant 2066) donne la mesure de ce qui inspire le cinéaste : le vertige infini du récit picaresque. L’histoire partie de rien, qui menace de se casser la gueule tout le temps et devant laquelle au fur et à mesure le sol se dérobe pour atteindre les sommets dantesques.

Ogres. Vincent Gallo (parfait, ça en devient usant de l’écrire), qui endosse là l’habit toujours limite de l’écrivain sans œuvre, vivant retiré dans le quartier malfamé de La Boca, pansant sa fierté blessée d’artiste inaccompli, ou de junky littéraire, en officiant comme éclairagiste, est ce corps par terre (le film le fait boiter, le casse, le renverse – il n’y a ici en permanence que de la chute, de l’accident), qui ne se relèvera qu’au contact de ce qu’il a rejeté de toutes ses forces : la création littéraire et les fantômes d’une famille d’ogres. Un jeune frère (joué par la découverte Alden Ehrenreich, sorte de jeune Chet Baker/DiCaprio qu’aurait aimé photographier William Claxton) retrouve sa trace, cherche à lui plaire, le vole et le réveille, l’oblige à remettre à l’endroit ce qui avait été littéralement écrit à l’envers (écrivain s’idéalisant sans lecteur, Tetro écrit ses phrases à l’envers. Comme l’image imprimée sur la pellicule, il faut un miroir pour que ce palimpseste soit lu) et dépasser le chaos. Dans la famille Tetro (famille de musiciens et d’artistes, suivez mon regard… Coppola qui ?), il n’y aura plus jamais d’ordre possible : tout est saccagé et les personnages ne cherchent même plus à demander réparation, mais à aboutir à un semblant de solde terminal. Un désordre dont la création est la clé.

Voilà qu’une fois encore, parti en sifflant l’air de l’expérimentation, de l’essai plutôt que la réussite, Coppola n’aura parlé que de ce qui l’intéresse vraiment : la mise en scène. La jubilation qui parcourt le film vient de ce qu’on avait perdu de vue l’habitude de voir, en toute plénitude, des personnages saisis en pleine mise en scène d’eux-mêmes. Le raté magnifique, le frère passeur, le père monstrueux, la famille des ogres, sans parler de la démente critique littéraire diva (baptisée Alone : «la plus belle définition de la critique», osait avouer hier un ami qui savait de quoi il parlait), ce ne sont pas (seulement) des personnages. Ce sont des mises en scène qui s’affrontent. Le monde selon Coppola ne serait que mise en scène, gestes. Décider comme il l’a fait au dernier moment d’envoyer chier l’officiel pour opter pour la Quinzaine n’est jamais pour lui qu’une façon de prolonger cela, encore et encore.

Philippe Azoury / Libération 15/05/2009

Vidéos

Mi luz es la verdad

Catégorie :

« Ma lumière est la vérité » : ces mots prononcés par Tetro, éclairagiste de la pièce Fausta, sont révélateurs du rôle central des lumières dans tout le film. On la craint et on l’approche, on cherche à la maîtriser.

Cette vidéo a été conçue en complément de la rubrique MISE EN SCÈNE en pages 10-11 du livret enseignant Lycéens et apprentis au cinéma.
Réalisation : Stratis Vouyoucas, Ciclic.

Dédoublements

Catégorie :

Comme souvent dans les tragédies familiales, il est question dans Tetro d’un destin qui se répète de génération en génération. Pas étonnant donc que le double soit un motif récurrent du film, qui se décline sous divers aspects.

Cette vidéo a été conçue en complément de la rubrique MISE EN SCÈNE en pages 10-11 du livret enseignant Lycéens et apprentis au cinéma.
Réalisation : Ciclic.