Médecin de famille (Le)

Argentine, Espagne, France, Norvège (2013)

Genre : Drame historique, Thriller

Écriture cinématographique : Fiction

Prix Jean Renoir des lycéens 2013-2014

Synopsis

Patagonie, 1960. Un médecin allemand rencontre une famille argentine sur la longue route qui mène à Bariloche où Eva, Enzo et leurs trois enfants s’apprêtent à ouvrir un hôtel au bord du lac Nahuel Huapi. Cette famille modèle ranime son obsession pour la pureté et la perfection, en particulier Lilith, une fillette de 12 ans trop petite pour son âge. Sans connaître sa véritable identité, ils l’acceptent comme leur premier client. Ils sont peu à peu séduits par le charisme de cet homme, l’élégance de ses manières, son savoir et son argent, jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils vivent avec l’un des plus grands criminels de tous les temps.

Distribution

Alex Brendemühl : Mengele
Natalia Oreiro : Eva
Diego Peretti : Enzo
Florencia Bado : Lilith
Elena Roger : Nora Eldoc
Guillermo Pfening : Klaus
Ana Pauls : L’infirmière
Alan Daicz : Tomás

Générique

Durée : 1h33
Titre original : Wakolda

Scénario et réalisation : Lucía Puenzo
D’après le roman WAKOLDA de Lucía Puenzo (éditions Stock)

Image : Nicolás Puenzo
Montage : Hugo Primero
Son : Fernando Soldevila
Décors : Marcelo Chaves
Musique : Daniel Tarrab, Andrés Goldstein, Laura Zisman Dirty Three (Warren Ellis, Mick Turner, Jim White) featuring Nick Cave

Production : Lucía Puenzo
Production exécutive : Nicolás Battle
Produit avec Luis Puenzo
Co-producteurs : Fabienne Vonier, Stéphane Parthenay, José María Morales, Miguel Morales, Gudny Hummelvoll

Autour du film

Article « À voir à lire » du 5 novembre 2013 :

Nous sommes au cœur de l’Argentine, infiltrée par l’émigration nazie. Josef Mengele, criminel, prend l’identité d’un médecin auprès d’une famille qui constituera sa proie. Très vite, le spectateur apprend la vérité sur le personnage. Le scénario est alléchant, troublant. Le médecin de famille est prenant, empli d’un suspense envoûtant. Le tout, retransmis dans une atmosphère particulière à la fois nerveuse et sinistre. En effet, durant tout le film, on est inquiet quant au devenir de cette famille. Hormis, le père qui émet une certaine méfiance envers ce personnage, la mère et Lilith, la fille, semble lui faire une confiance aveugle. Le criminel est fasciné par le retard de croissance de Lilith, au point d’effectuer une étude sur la jeune fille en pratiquant des expériences périlleuses. Pourtant, Lilith semble peu à peu apprivoiser cette figure haineuse, ce monstre obsessionnel. Un comportement presque incompréhensible aux yeux du spectateur tant Alex Brendemühl, dans la peau de Josef Mengele, semble incarner le mal en personne. L’acteur est fascinant par la justesse de son jeu, la figure insupportable qu’il parvient à porter à l’écran.

Jusqu’où est capable d’aller Mengele ? Qui est-il vraiment ? Voici les questions qui hantent le spectateur jusqu’à la fin du film. On est embarrassé, angoissé pour Lilith. Une ambiance erratique et ombrageuse plane sur Le médecin de famille. Lucia Puenzo, la réalisatrice, traduit cette inquiétude par de petits indices qu’elle porte à l’écran. On peut par exemple noter cette usine d’assemblement de poupées morbides avec des corps de porcelaine démantelés, des cranes encore chauves et des visages inanimés. Une fois assemblées, ces poupées aryennes incarnent alors la perfection obsessionnelle recherchée par le criminel. La photographie est percutante et morbide à la fois, de par ces images et cette atmosphère sinistre. Une image pourtant souvent adoucie par la beauté du paysage profane de la Patagonie. Si on s’intéresse à l’histoire contemporaine, on découvre que la période que Josef Mengele passe à Bariloche demeure l’une des plus mystérieuses concernant sa cavale en Amérique Latine. On sait néanmoins que le criminel, obsédé par la perfection biologique, y avait fait plusieurs expériences sur des animaux et femmes enceintes. Lucia Puenzo s’est alors inspiré de l’histoire vraie de Josef Mengele en donnant vie à une famille qui aurait pu vivre au côté de l’un des plus célèbres criminels.

Pistes de travail

Josef Mengele, un monstre

Si tout n’a pas encore été révélé sur le passé du docteur Josef Mengele sur le sol argentin, on sait, en revanche, que l’homme était, comme dans le film, d’une austère courtoisie ; laquelle lui permettra souvent de cacher une abjection qu’il manifeste pleinement dès mai 1943 dans le camp d’extermination d’Auschwitz (on le surnomme « l’ange de la mort ») et qui sera rendue publique pour la première fois lors du procès de Nuremberg en novembre 1945-octobre 1946. Après la défaite allemande, l’ex-médecin-chef nazi retrouve sa Bavière natale où il vit tranquillement, jusqu’à ce que les enquêtes menées dans le cadre des poursuites contre les criminels de guerre ne s’orientent vers lui. C’est alors le début d’une longue cavale qui le conduit à trouver refuge à Buenos Aires dès 1952, où il ouvre un cabinet médical sous le nom de « José Mengele ». L’Argentine est alors dirigée par le président Juan Perón. Passant un temps au Paraguay (dont il deviendra citoyen plus tard) après la chute de Perón, Mengele revient ensuite en Argentine où Simon Wiesenthal retrouve sa trace en 1959. Désormais n° 5 sur la liste des grands criminels de la Seconde Guerre mondiale dressée par le centre de documentation de Simon Wiesenthal, l’homme est activement recherché par les services secrets israéliens. « Au moment où Eichmann [responsable de la solution finale et n° 1 sur la liste Wiesenthal, NDR] a été arrêté par le Mossad, explique Puenzo, Mengele a disparu, pour réapparaître au Paraguay six mois plus tard. Le film se déroule pendant ces six mois, où personne ne sait vraiment où il se trouvait. » Une zone d’ombre, ou parenthèse de temps située en 1960, dans laquelle l’écrivain-cinéaste se glisse pour tisser les fils de son intrigue au ton parfois horrifique, dresser le portrait d’un parfait bourreau et faire la démonstration d’une « certaine » complicité à son égard.

Les Argentins savaient-ils ?

Rien dans son apparition à l’écran ne suscite la méfiance à l’égard de Mengele. Encore moins le rejet. L’homme est même présenté par la réalisatrice sous un jour agréable sinon avenant. Comme une manière de dédouaner – au moins dans un premier temps – ses compatriotes qui, à l’image de la petite famille fictionnelle qu’il rencontre, auront pu être abusés par l’imposture d’un tel personnage. L’homme est un habile manipulateur. Charismatique, troublant, ambigu. À la question de savoir si les Argentins étaient au courant ou non, Puenzo répond donc en deux temps. La mystification d’une part (Mengele trompe d’abord son monde), et le silence, la veulerie, la complicité passive d’autre part (la méfiance de la famille reste vague et longtemps sans réaction).
Rappelons que l’action se déroule en 1960 à Bariloche, où vit une importante communauté germanique depuis le début du XIXe siècle. Celle-ci prône, et ce bien avant le début de la guerre, une idéologie ouvertement nazie. Impossible donc, selon la cinéaste, que les Argentins n’aient eu quelques soupçons sur l’identité de certains Allemands arrivés dans le pays après la chute du Reich. Impossible que cette partie confiante de la population qu’incarne Eva, la gentille mère de Lilith, n’ait pu ignorer les crimes nazis et les pratiques des médecins-tortionnaires dans les camps de la mort. Et la réalisatrice en fait l’habile démonstration avec le personnage de Lilith, qui semble percevoir d’emblée la duplicité du dangereux médecin, dirigeant ainsi notre regard.
La première rencontre entre les deux personnages suscite un important malaise chez le spectateur. L’inconnu, l’œil acéré et le verbe inquisiteur, interroge étrangement la gamine. Sa méthode d’approche est celle d’un prédateur dont les instincts et l’obsession de pureté raciale se raniment à la vue de la gamine trop petite pour son âge. Cette impression liminaire se trouve vite confirmée par une série d’indices, comme les fameux carnets remplis de croquis et observations, qui complètent progressivement le portrait du personnage, vraisemblablement toujours convaincu, comme son mentor le médecin eugéniste von Verschuer, que les jumeaux recèlent les clés du code génétique. Et c’est tout aussi progressivement qu’Enzo sonne l’alarme contre la bienveillance de sa famille envers le « médecin maudit » et ses bonnes manières affichées. Lesquelles trouvent un contrepoint effrayant, ou indice de vérité, dans l’obscure communauté allemande des environs, ainsi que dans l’établissement scolaire fréquenté par Lilith.

Film d’horreur

Cette communauté, nous dit Puenzo, est « préparée à l’accueil des Allemands qui arrivaient de l’étranger et qui avaient besoin de se procurer rapidement un nouveau passeport, une nouvelle identité, un nouvel emploi. Il y avait des réseaux en place visant à les leur fournir et à leur permettre de se fondre dans la masse. » Le film nous en livre une image opaque, mystérieuse, foncièrement inquiétante. Son existence, qui nous évoque la société secrète et satanique de Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968), est en grande partie limitée au hors-champ menaçant du film, dans l’ombre de laquelle errent des fantômes de la guerre (au visage bandé) et où s’ourdissent des plans secrets. Sa partie la plus visible reste encore l’école allemande de Lilith, véritable espace de la cruauté et du totalitarisme, où les petits Aryens de la communauté qui y sont inscrits torturent ceux qui ne leur ressemblent pas.
Cette école fait froid dans le dos. Elle nous parle (comme l’ensemble du film) du passé et du présent, mais aussi du futur à travers ces jeunes gens fascinés par le mal et les théories nazies. Futur qui est aussi aujourd’hui notre présent, et qui interroge notre rapport tyrannique à la beauté physique, notre propre culte du corps parfait…
La mise en scène du Médecin de famille oscille entre différents registres renvoyant tous à l’horreur : le conte horrifique avec l’attirance trouble de la petite Lilith pour Mengele ; l’horreur fantastique avec la communauté allemande mais aussi le décor labyrinthique de l’hôtel évoquant celui de Shining (Stanley Kubrick, 1980) ; la noirceur de l’épouvante avec le diabolique docteur Mengele. L’horreur et ses fantômes donc, comme désir et moyen d’introspection.
Œuvre cathartique, Le Médecin de famille est un miroir tendu à la conscience collective, à l’examen du passé d’un pays qui a accueilli et soutenu les plus grands criminels de guerre nazis.

Extrait du dossier pédagogique du réseau Canopé