Homme qui plantait des arbres (L’)

France (1991)

Genre : Drame historique

Écriture cinématographique : Film d'animation

Archives CAC, Collège au cinéma 1993-1994, École et cinéma 2018-2019

Synopsis

Thème
Le narrateur découvre, au début du siècle, dans une région désertifiée à  la limite des Alpes et de la Provence, un berger animé d’une visée messianique : redonner vie à  cette région abandonnée. Il le retrouve après la guerre : le berger est devenu apiculteur et à  réussi, à  la seule force de ses poignets, à  faire pousser des milliers d’arbres et à  redonner vie aux villages avoisinants.

synopsis

L’histoire se situe dans cette région des Alpes qui pénètre en Provence, à  cheval sur les départements du Vaucluse, de la Drôme et des Basses Alpes. Le narrateur découvre, vers le début de ce siècle, cette région où des villages en ruines sont dominés par un vent sauvage et dévastateur, l’eau a même disparu des ruisseaux et des fontaines. Il rencontre un berger qui le désaltère et l’invite dans sa maison pour partager son toit et son couvert. Le voyageur note l’extrême sérénité de cet homme solitaire et l’ordre parfait de son intérieur – contrastant singulièrement avec la réalité misérable et cauchemardesque des habitants de cette contrée. Après le repas, l’invité remarque que le berger trie soigneusement des glands qu’il ira planter le lendemain dans les collines environnantes. Le paisible solitaire s’avère habité par un véritable messianisme : il replante des arbres dans ce pays devenu désertique – déjà  cent mille pousses en trois ans – avec sa seule ressource humaine.
Après la Première Guerre mondiale, le narrateur revient dans la région, il constate l’état de renaissance du pays : l’eau coule à  nouveau dans les cours asséchés. L’inlassable combat d’Elzéard Bouffier, le berger reconverti en apiculteur, s’est révélé miraculeux.
D’abord surpris par la forêt “ naturelle ”, les autorités mettent la région sous protection de l’à‰tat, interdisant coupes et destructions.
Le narrateur de tendance quelque peu pessimiste face au genre humain, reprend espoir au fur et à  mesure de la transformation des villages, de l’opulence et de l’harmonie des fêtes villageoises qui démontrent bien l’œuvre accomplie par “ le soldat de dieu ”, luttant à  la seule force de sa volonté.
En 1945, Elzéard Bouffier s’éteint en ayant engendré du bonheur pour plus de dix mille personnes dans cette contrée en pleine régénérescence.

Distribution

Le narrateur

Ce personnage se dessine peu à peu dans le paysage désolé et hostile dont il semble à la fois l’émanation et la conscience distanciée.

C’est lui qui va dresser un tableau effrayant de la condition de vie de ces villages d’arrière-pays : travail misérable, routes défoncées, maisons rabougries. Les caractères s’y durcissent : la jalousie, l’égoïsme et l’ambition détruisent les rapports humains.

Mais l’accueil que lui réservera le berger va transformer sa vision de cette région déshéritée. Il va trouver auprès de ce berger une sensation de paix et d’harmonie.

Les deux guerres mondiales sont l’occasion pour le narrateur de marquer, en contrepoint, les changements d’époque et de retrouver avec un œil neuf le berger nous rendant plus sensible l’évolution de celui-ci. Il fonctionne comme un faire-valoir de la destinée d’Elzéard Bouffier, le berger.

Elzéard Bouffier, le berger

On découvre le berger Elzéard Bouffier, entouré d’un troupeau de moutons et d’un chien paisible, offrant sa gourde pour rafraîchir le voyageur-narrateur.

Mais ce berger possède un secret : il rassemble des glands pour les planter et faire renaître une forêt dans cette région aride : en trois ans, il plante plus de cent mille chênes, à lui tout seul. “ Ce n’est rien, dit-il, devant l’œuvre à accomplir ”.

Après la Première Guerre mondiale, tout en continuant à planter des arbres de toutes espèces, il abandonne l’élevage des moutons, dangereux pour les jeunes arbres, pour se consacrer à l’apiculture. La forêt prend forme, la vie renaît, l’eau coule à nouveau dans le lit des ruisseaux et des petites rivières.

Epargnée par la Deuxième Guerre mondiale, la région est devenue accueillante, des maisons ont été construites, les potagers sont bien entretenus et les champs resplendissent sous le soleil.

A nouveau, rires d’enfants, sourires bienveillants des personnes âgées et fêtes villageoises, joyeuses et fréquentées, alimentent ce tableau idyllique. Le foisonnement multicolore tranche nettement avec le dessin sombre du début du film.

Elzéard Bouffier semble vivre en osmose totale avec la nature. Mais son visage est vieilli. Et, en 1947, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, il meurt à l’hospice de Banon (Alpes maritimes).

Le capitaine forestier

Ami du narrateur, le capitaine forestier déclare la forêt “ naturelle ” et la fait placer sous la protection de l’État, Il avoue son respect devant cet homme au savoir intuitif : “ Il en sait beaucoup plus que tout le monde. Il a trouvé un fameux moyen d’être heureux. ” La forêt est alors jalousement préservée des bûcherons.

Générique

Titre original L’Homme qui plantait des arbres

Production Société Radio Canada

Producteur délégué Hubert Tison

Supervision Léo Faucheur

Scénario Frédéric Back d’après un récit de Jean Giono

Dessins, animation Frédéric Back

Voix Philippe Noiret

Assistante Lina Gagnon

Prise de vue Claude Lapierre, Jan Robillard

Musique originale Normand Roger, assisté par Denis L. Chartrand

Prise de son Hervé Bibeau

Mixage Michel Descombes, André Gagnon

Montage Norbert Pickering

Films Couleurs 35 mm

Format 1/1,37

Duré 30 minutes

Distribution Films du Paradoxe

Visa n° 78 613

Autour du film

La peinture animée

Le 7e Art comprend deux types de techniques très différentes : la prise de vue réelle et l’animation.

Le cinéma de prise de vue réelle utilise la caméra pour enregistrer l’action réelle avec 24 photos distinctes par seconde. Le projecteur restitue à la même cadence le film ainsi réalisé.

En revanche, le cinéma d’animation recrée chacune des phases du mouvement, la caméra devenant un simple appareil de photo. Seule la projection donne vie à la lente recréation du mouvement.

Le cinéma d’animation est confondu souvent avec la technique la plus souvent utilisée – le dessin animé –, avec comme point d’orgue l’universel Walt Disney. Le dessin, après analyse du mouvement, est reproduit sur une feuille plastique transparente (le “ cell ” pour Celluloïd)) et la couleur est appliquée au verso de ces feuilles ; elles sont ensuite placées sur des décors plus élaborés. Le dessin autorise une très grande souplesse dans le mouvement et un réalisme très attrayant pour le spectateur. Toutefois le serti en noir des personnages et l’à-plat de la peinture cantonnent le dessin animé dans un style répétitif.

Aussi certains réalisateurs (J-F. Laguionie, Masse, Plymton, etc.) ont-ils opté pour le papier découpé qui fait gagner en qualité des dessins aux hachures et tramages plus riches.

Le long métrage Gwen le livre des sables (J-F. Laguionie) démontre d’une manière saisissante le foisonnement du graphisme. En contre-partie, le mouvement souffre de cette technique et cela développe un style moins rythmé, plus retenu.

Retournant aux sources même des pionniers de l’animation, à une époque qui ignorait le plastique transparent, des réalisateurs emploient le tracé direct sur feuille de papier et rénovent avec l’image sautillante et scintillante des premiers Felix le Chat ou des courts métrages de Walt Disney. Le grain de papier et le trait moins précis donnent à l’image un aspect fragile – plus vivant – au dessin pour éviter un excès de cette impression « vibrante », l’animateur change continuellement d’angle de prise de vue, dans un mouvement continu de transformation même des personnages : le réalisme est peu à peu abandonné pour un univers poétique. Tournant le dos au serti noir qui entrave le dessin, celui-ci apparaît souvent incomplet, éphémère, parfois même sans représentativité.

L’une des originalités de Frederic Back a justement consisté a utiliser pleinement ce “ sautillement de l’image ” pour casser la fonction de représentation et magnifier sa fonction poétique : à regarder de près sa technique, on se rend compte que seul un dessin sur deux ou trois est “ net ” tandis que les dessins intercalaires sont délibérément “ floutés ”. Il obtient ainsi un style qui lui est propre, la projection donnant aux personnages leur véritable épaisseur.
(André Oskola)

Autres points de vue

Giono ou l’anti-genèse

Au début des temps, la terre était un jardin, nous dit la Bible. L’homme et la nature y étaient en parfaite harmonie, ton sur ton, pastel de préférence. Puisque le bonheur est sans doute ennuyeux, l’homme trahit son créateur et connut les affres d’une nouvelle condition. Il découvrit la souffrance, la mort et les sept péchés capitaux réunis. Dieux merci, l’homme avait gardé le souvenir confus d’Eden, de son unité avec les éléments, comme on garde en mémoire un parfum. De ce parfum, il allait faire un idéal et sur cet idéal, bâtir des civilisations… C’est, si on peut le dire, la toujours actuelle théorie spiritualiste officielle, celle que le jeune Giono, au début du siècle, allait découvrir au hasard de ses lectures autodidactes, entre l’échoppe de son père cordonnier et la table à repasser de sa mère.

Bien sûr, Giono lira aussi le très réactionnaire Rousseau, ennemi des sciences et des arts, qu’un humble vicaire savoyard initia à “ la foi toute pure, la foi véritable, laquelle est simple amour du dieu créateur qui réjouit nos yeux par la vue de l’harmonieuse et sublime nature ”.

Alors, on aurait pu attendre du Provençal Jean Giono qu’il accepte d’emblée l’idée d’une nature bonne et généreuse, paisible et offerte. Pas du tout, et c’est bien là son originalité voire sa modernité. Chez Giono, la nature est hostile et menaçante. En fait, Giono prend le contre-pied de tout et prêche à l’envers (comme Rousseau, d’ailleurs, le fit en son temps). Qu’il s’agisse de “ Colline ”, de “ Regain ”, ou de “ L’Homme qui plantait des arbres ”, Giono accuse. Il accuse l’absence de Dieu puisque l’homme doit faire le travail à sa place. Toujours, la nature n’est qu’un foutoir qu’il faut réorganiser, un espace sauvage qu’il convient de mesurer avant d’en faire un jardin. On a dit de Giono qu’il prônait le retour à la terre. Pétain crut même lui emboîter le pas sur ce thème. On s’est trompé et “ L’Homme qui plantait des arbres ” nous le prouve. Giono prône la fuite individuelle dans le désert bien plus qu’un retour au naturel, à la simplicité. Et c’est bien là, on peut en être assuré, un idéal anarchiste. Car, si Giono n’a aucune confiance dans la nature privée de la main humaine, il n’en accorde pas beaucoup plus à l’homme.

Et si ses héros sont des gens simples, c’est bien que ni la nature ni la naissance ne les ont choyés, qu’ils n’avaient pas de place à leur mesure dans la société, hormis le rang de valet.

Issu d’un milieu populaire riche à cette époque d’une culture héritée de la révolution, Giono n’y croit en définitive pas plus qu’il ne croit en Dieu. Ses personnages sont des exclus, des marginaux, des dégoûtés. Et on se demande même pour qui ou pour quoi ils se lancent dans des aventures dont la seule finalité semble bien être de s’occuper en attendant la mort. Car enfin, à quoi cela sert-il de planter des arbres pour les générations futures qui, à leur tour, bâtiront une société inique et hiérarchisée, détruiront leur environnement et s’autodétruiront dans la guerre ? Assurément, les personnages de Giono avaient plus d’un demi-siècle d’avance sur leur époque. Derrière leur sagesse composée, se cachent de fieffés cyniques revenus de toutes les religions et de toutes les idéologies avant même, pour certains, de les avoir côtoyées ; des laissés-pour-compte sans autre illusion que la certitude de n’en avoir aucune. Et malgré tout, ces gens-là s’acharnent à commencer quelque chose, comme si le première malédiction de l’homme était bien d’y être contraint.

Giono, on le voit, se prête à de multiples lectures. Nietzschéen si on reste sur l’image de l’homme seul qui prépare la multitude au bonheur, écologiste lorsque se bâtissent des jardins sur le roc, anarchiste quand ses mêmes héros fuient la société corrompue pour une reconstruction individuelle.

Au fond, pour Giono, l’homme “ est ” Dieu sur cette terre. Ce qui est terrible, c’est que personne ne l’a mis au courant.

André Grall, in Dossiers “ Collège au cinéma ” n° 50, éd. Films de l’Estran/CNC, Paris, 1993.

Une toile impressionniste

“ Le style de l’auteur, Frederic Back, n’a rien à voir avec le cartoon traditionnel. Tout le début, monochrome, a la sobriété des croquis. Puis, les touches de couleur se multiplient à mesure que triomphe la fertilité. L’image devient alors une véritable toile impressionniste en mouvement. ”

Bernard Génin, in “ Télérama ”, 4 décembre 1991.

Une saint-sulpicerie !

“ Et toutes les images, dessinées avec un soin dont nul ne dispute qu’il soit admirable, en rajoutent. Avec grand déploiement de pastels ondoyants et dégoulinade de joliesse, tandis que sur la bande-son, Philippe Noiret arpège telle une contrebasse en goguette. Elles illustrent au pied de la lettre des mots qui auraient besoin de sécheresse. Ce n’est plus un plaidoyer humaniste, c’est la messe et son iconographie sulpicienne. ”

Jean-Michel Frodon, in “ Le Monde ”, 7 décembre 1991.

Pistes de travail

Les premières impressions

Le film s’appuie sur un continuel émerveillement et retrace le cheminement d’une découverte initiatique. Il est fort intéressant de recueillir les impressions subjectives des élèves, de les amener à dire ce qu’ils ont ressenti. Les manifestations contradictoires seront riches d’enseignement car elles éclaireront les possibles ambiguïtés du message.

La narration linéaire

Le film nous entraîne dans un déroulement chronologique presque parfait. Le récit évolue et se transforme sans heurt apparent. Rechercher les diverses étapes de ce texte qui souligne que cette régénérescence s’appuie plus sur l’abandon des certitudes que par l’acquisition des connaissances et par le progrès. Insister sur le continuel resserrement du récit, sans descriptions redondantes qui alourdiraient le propos.

Le personnage mythique

Il serait aisé de montrer le contraste entre la démesure d’Elzéard Bouffier dans sa mission et ses faibles moyens pour y parvenir. On peut développer les qualités de ce personnage : solitude, sérénité, opiniâtreté, bonheur simple… Bien simple par rapport à celles d’un héros mythique.

Film court : cinéma à part entière

Faire remarquer que la durée du film ne nuit en rien à la qualité de réception de l’œuvre : l’élève a bien assisté à un film complet auquel il ne manque aucun élément indispensable au récit. Mettre en parallèle l’impression de temps ressenti par l’élève et la réalité du temps de la projection.

La voix narrative

On reconnaît facilement – trop peut-être au début – la voix de Philippe Noiret qui souligne harmonieusement le texte de Giono. Montrer l’envoûtement provoqué par cette voix chaude et retrouver, en classe, certaines phrases ainsi modulées par l’acteur.

Dessins et couleurs

Faire remarquer le trait très sombre du dessin dans la description de la Provence ; trait qui devient de plus en plus transparent pour accentuer le caractère sans pesanteur des personnages et le côté presque irréel de leur rencontre. La couleur apparaît peu à peu au rythme de la régénérescence pour aboutir à cette explosion luxuriante des couleurs complémentaires. Montrer les parallèles entre les peintres impressionnistes et l’auteur, par l’utilisation des couleurs vives et vibrantes.

Une vision du monde

Approfondir les connaissances des élèves sur Giono et les valeurs qu’il a représentées (à tort ou à raison).

Ne pas hésiter à montrer tous les aspects de ces valeurs – qui ne pourront nuire à la compréhension du film présenté. Au contraire, ces explications permettront à chacun de se méfier des idéalisations primaires et à rechercher dans chacune de ses rencontres un enrichissement personnel réfléchi.

Mise à jour: 17-06-04

Expériences

L’animation, un art de l’imaginaire

L’Homme qui plantait des arbres a obtenu plus de 40 Prix dans les festivals du monde entier avec, pour couronner sa carrière, l’Oscar du meilleur court métrage en 1987. Fait suffisamment rarissime pour le souligner car le film d’animation rencontre beaucoup de difficultés à sortir du cercle d’initiés et donc à toucher le public.

On ne peut qu’être étonné par l’ignorance et le peu d’intérêt des critiques cinématographiques. Peut-être à cause des productions Walt Disney, une étiquette “ enfant ” détourne cinéphiles et critiques du film d’animation.

Des cinéastes des ex-pays de l’Est, tels Youri Norstein ou Borislav Pojar, ont développé un style plus artistique, aux ambitions pédagogiques plus avouées : le film doit améliorer nos vies et notre culture. Cet aspect plus humaniste du film d’animation a été largement perçu en France où des ciné-clubs ont alors choisi de diffuser ce type d’œuvres.

Sous l’impulsion du Britannique Norman LacLaren, le Canada – et tout particulièrement l’Office National du Film du Canada – a été, et demeure toujours, le laboratoire pour un cinéma de culture. En attirant des cinéastes du monde entier, il a créé de nombreuses œuvres pédagogiques pour les écoles, allant même jusqu’à permettre l’alphabétisation ou la formation dans le Tiers-monde. Là où le film de fiction ou le documentaire se heurte aux problèmes d’analyse et de représentativité de la réalité, le cinéma d’animation a toute liberté de susciter l’imaginaire et permettre la mise en relation des diverses connaissances : l’artiste devient humaniste car il a les prérogatives du démiurge devant sa feuille de dessin et derrière sa caméra.

Malheureusement, cette capacité universaliste ne rencontre que peu d’écho dans les chaînes de télévision à la recherche plus immédiate du taux d’écoute ; le film d’animation n’est pas plus diffusé dans les salles de cinéma où le format court perturbe les exploitants.

Les préoccupations actuelles concernant la défense de l’environnement et la surpopulation bousculent très largement cette gangue de la rentabilité commerciale. Quelques succès cinématographiques comme Croc blanc, Danse avec les loups ou L’Enfant lion augurent d’une véritable évolution, bien après d’innombrables films d’animation ayant permis d’aborder les problèmes contemporains. L’Homme qui plantait des arbres, justement récompensé, réconcilie tous les publics par le message ainsi porté, grâce à la rencontre de Jean Giono et Frédéric Back.