Grand voyage (Le)

France, Maroc (2004)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Collège au cinéma 2009-2010

Synopsis

Alors qu’il s’apprêtait à passer le bac, Réda est contraint de conduire son père, ouvrier marocain à la retraite, en voiture à la Mecque parce que son grand frère s’est vu retirer le permis pour conduite en état d’ivresse. La cohabitation entre les deux hommes est difficile, tant leur culture est différente : Réda ne comprend rien à cette entreprise insensée qui l’oblige à quitter brutalement sa petite amie.
Leur lent cheminement de 3 000 kms à travers, entre autres, l’Italie, l’ex-Yougoslavie, la Turquie, la Syrie, la Jordanie, est marqué par des tentatives de rapprochements et des disputes, le passage des frontières et la rencontre de personnages surprenants.
Lorsque l’argent du voyage disparaît, tout semble accuser Mustapha, un musulman turc aux idées progressistes. Les restrictions soudaines imposent au père des choix que le fils ne partage pas. Excédé, Réda se rend dans un club où il s’enivre et flirte avec une danseuse. Puis son regard sur son père évolue au contact de pèlerins rencontrés sur la route. Fils et père finissent par se réconcilier et expriment leur amour.
Au matin, à la Mecque, Réda regarde son père se vêtir et rejoindre les pèlerins. Mais le soir venu, ce dernier ne rentre pas. Réda se lance alors à sa recherche.

Distribution

Réda / Nicolas Cazalé
le père / Mohamed Majd
Mustapha / Jacky Nercessian
Khakid / Kamel Belghazi
La Vieille femme / Ghina Ognianova
L’homme du change à Belgrade / Blajo Wymehckh
Le barman yougoslave / Kirill Kavadarkov
La mère de Reda / Malika Mesrar El Hadaoui

Générique

Titre original : Le Grand Voyage
Réalisation : Ismael Ferroukhi
Scénario : Ismael Ferroukhi
Image : Katell Djian
Musique : Fowzi Guerdjou
Son : Xavier Griette
Montage : Tina Baz
Production : Casablanca Films Productions, Ognon Pictures
Distribution : Pyramide distribution
Sortie du film : 24 novembre 2004
Durée : 1h48
Format : 35 mm, couleur

Autour du film

Personnages et paysages

Le film repose sur l’éloignement et le rapprochement du fils et du père. Le proche et le lointain sont les axes successifs et permanents de la mise en scène.
Ismaël Ferroukhi s’applique à multiplier les mouvements de caméra qui partent de la voiture et, dans un mouvement de grue, balayent un large espace. Plusieurs haltes dans une nouvelle ville s’ouvrent également par des plans généraux ou capturent, en quelques saynètes rapides, l’activité de ses habitants. Pour autant, Ferroukhi ne succombe jamais à une tentation purement contemplative ou esthétisante du paysage. Ce qui l’intéresse, c’est moins l’évolution géographique des personnages que leur évolution intérieure. Preuve de ce désintérêt pour la géographie, le spectateur a souvent du mal à se situer dans l’espace en raison de l’effacement de tout repère contextuel, panneau indicateur ou élément de décor clairement identifiable. En ce sens les apparitions-disparitions de la vieille femme qui s’impose dans la voiture est significative de cette désorientation de Reda, mais aussi du père, qui suit une direction inconnue (et que l’on ignorera toujours).
La bande son n’est pas d’un grand secours non plus pour le guider. Hormis quelques noms de grandes villes célèbres auxquels se raccrocher, elle est saturée de diverses langues étrangères et incompréhensibles, qui ne conduisent qu’à augmenter son sentiment d’étrangeté et son égarement. Par contre, le cinéaste est nettement moins avare en marqueurs temporels qui scandent les journées : les prières du père, les passages de douanes, les couchers et levers.

La culture du père et celle du fils

Pour bien signifier que le père et le fils appartiennent à des cultures différentes, le cinéaste a pris soin de les doter de moyens d’expressions relevant de régimes différents. Enfant de la République élevé suivant les préceptes d’une culture occidentale, Réda privilégie au quotidien son apprentissage d’écolier et de lycéen : la pratique de lecture, du français et de l’anglais. À son père qui prétend lui indiquer la bonne direction routière, Réda lui rétorque « Mais qu’est-ce que t’en sais, tu sais même pas lire ! », afin de souligner son exclusion de la sphère de la connaissance. De même, il pense que la pratique de l’anglais et du français, deux langues réputées internationales, lui serviront à communiquer dans tous les pays traversés. Il va vite déchanter et découvrir à ses dépens que les individus rencontrés (douaniers, passants, auto-stoppeuse, changeur) ne connaissent pas ces langues et que, de ce fait, la communication avec eux est impossible. À la douane turque, Réda devra même recourir à un traducteur pour pouvoir continuer son voyage.
Face à lui, et contre toute attente, c’est son père, réputé analphabète qui s’en sortira le mieux. C’est que, contrairement à son fils, le père privilégie résolument le langage gestuel et celui des regards à l’expression verbale pour communiquer avec le monde extérieur
La rencontre du groupe de pèlerins musulmans venus du monde entier réaffirme la primauté du père sur le fils, mais cette fois dans une communication langagière. Grâce à l’arabe littéraire qu’il pratique, le père peut converser avec toutes les nationalités tandis que Réda est contraint au mutisme. « Il ne comprend pas le dialecte », dira son père, comme pour l’excuser.

Vidéos

Grand voyage (Le)

Catégorie :

1h 00’ 32” à 1h 02’ 42” (= 2’12”)*

* Le minutage peut varier de quelques secondes selon le mode de lecture : projecteur ciné, lecteur DVD, ordinateur…).

Sur la route vers Damas, le père a puisé dans ses réserves financières pour payer essence et nourriture après le vol attribué à Mustafa. Une surchauffe du moteur les oblige à s’arrêter. Reda ouvre le capot de la voiture, prend un jerrican et va le remplir à une fontaine toute proche pendant que son père va également à la fontaine. Les femmes ont fui l’arrivée des deux hommes…

Reda est en train de remplir le radiateur de la voiture quant une femme vêtue de noir, bas du visage voilé, accompagnée d’une fillette, s’approche de lui et lui tend la main, demandant l’aumône. Elle accompagne da demande de prières rituelles. Reda se tourne à deux reprises vers elle, irrité avant qu’elle ne passe son chemin. Il se retourne vers elle… En contrechamp, la femme qui s’éloigne dont le vêtement masquait la totalité du champ dévoile le père en train de se désaltérer à la fontaine. Ce mouvement du vêtement fait office de rideau de scène ou de volet ouvrant sur une scène assez large composée d’éléments simples : la fontaine, l’homme, sa bouilloire posée au sol, un seul arbre… En arrière-plan, des lignes géométriques élémentaires formées par les murs, le bâtiment et la fontaine elle-même. Le tout compose un tableau allégorique du type : le vieil homme et la mendiante.

Un bref retour à Reda le montre attentif à la réaction de son père, somme un test. L’enjeu est posé du point de vue de Reda pour qui importe seulement la réalité matérielle : ils manquent d’argent et la situation de la femme ne le concerne pas.

Le retour au père et à la mendiante à l’enfant peut se faire plus serré, devenant un enjeu dramatique. L’homme sort de l’argent de sa poche et hésite. À l’évidence il fait d’abord un cheminement proche de celui de son fils : ils ont besoin de cet agent et cette femme a dss besoins : veuve, un enfant à charge… Dans un second temps, il se décide sans hésitation.

Retour sur Reda qui bondit littéralement comme s’il n’attendait que cela. Il passe de l’espace qu’il occupait autour de la voiture à celui qu’occupent son père, la mendiante et la fillette. De l’espace occidentalisé dominé par le calcul et la technique et le rendement à l’espace traditionnel de la fontaine où l’on se déplace à pieds. Son entrée dans le cadre (environnement) à l’ancienne se fait en balayant l’espace du cadre (filmique) comme l’avait fait la mendiante. Ce qu’il représente vient remplacer ce que représentait la femme en noir. Reda se place en outre visuellement entre son père et la mendiante, comme s’il boulait casser le lien qui les unit, signifié par l’aumone.

Le contrechamp serre Reda à la taille puis à la poitrine, renforçant la violence des reproches qu’il adresse à son père, dont on devine qu’ils déborde cette simple question d’argent. La caméra suit son déplacement vers la gauche lorsqu’il arrache le billet des mains de la mendiante. Mais il se trouve alors face à face avec elle, obligé d’affronter son regard accusateur : elle ne peut comprendre la réaction du jeune homme, n’étant pas du même monde, même s’il est lui aussi arabe. Ignore-t-il que la charité faite aux pauvres fait partie des préceptes du Coran ?

Un raccord sur le geste sacrilège de Reda, qui non seulement empêche le don mais reprend ce qu’il n’a même pas donné lui-même, nous fait passer à un contrechamp où Reda est de dos, le père de face, visage empli de ce que l’on peut appeler une sainte colère, fonçant sur son fils en le giflant. Dans ce mouvement, la mendiante est sortie du cadre : elle n’est que le prétexte à une lutte qui se circonscrit entre les deux hommes.

À l’instant où le père frappe le fils et lui reprend le billet qu’il va rendre à la mendiante, on retrouve le plan de la fontaine où Reda tentait de s’interposer entre le vieil homme et la femme. Cette fois, c’est lui qui, par la force de la gifle, est presque expulsé de l’espace dans lequel il s’est immiscé. Monté sur la margelle de la fontaine, le père domine légèrement le fils, comme animé d’un principe supérieur.

Conséquence directe : voici Reda seul en contrechamp, dans un espace quasiment vide, sans références ni signification. Un monde sans lois ni principes moraux et religieux où le jeune homme ne sait d’abord quelle attitude avoir avant d’en tirer les conséquences : il se moque du pèlerinage comme de la règle de l’aumône (en un mot, du Coran et de la Foi), et, puisque son père l’a repoussé, s’effondre le seul principe qui l’a conduit jusque-là, le respect de règles purement formelles comme l’obéissance au père de famille.

Un jeu de champ-contrechamp fait monter le ton entre l’étonnement du père de voir son autorité non pas bafouée, mais déniée et la vigueur avec laquelle Ralph réclame son passeport, symbole de la liberté à l’occidentale.

Lorsque le père rabaisse sa manche et se détourne, il signifie qu’il prend acte de leur rupture et de leur incompréhension totale, à quoi répond le contrechamp montrant Reda s’éloignant vers la voiture, rejoignant l’espace occidental. Geste de colère, le coup de pied dans le jerrican montre aussi que pour Reda, ce retour à l’occidentalisation ne le satisfait pas totalement et que la situation n’est pas réglée.

Pour le père non plus, puisque, finissant de baisser sa manche, il suit des yeux Reda d’abord hors champ qui apparaît bientôt derrière lui. Un petit muret les sépare, soulignant la distance qui s’est établie entre les deux hommes. Il marche d’un pas décisif, son sac sur le dos, mais dans une direction qui semble surprendre même son père, vers le fond de l’espace dévolu à la tradition et au passé. Le plan suivant, très large, le montre comme une petite silhouette

Le gravissement de cette montagne, sans but précis, a quelque chose d’une nouvelle épreuve que s’impose Reda à lui-même, de la poursuite d’un voyage initiatique obcur. Comme si, malgré tout, le jeune homme n’avait pas tout à fait rompu les liens avec son père et ce qu’il représente.

Le champ-contrechamp sur le père assis dans la voiture (1h 02’08”) et les plans de la montagne que gravit Reda disent son hésitation entre le repli sur soi et l’attente de ce fils dont dépend la réalisation du pèlerinage. Hésitation, mais aussi lien : l’accomplissement des préceptes du Coran et ses relations avec son fils ne peuvent se contredire… Ce n’est pas par hasard qu’il trouve la photo de Lisa, mais bien en cherchant. Elle lui donne la clé : elle fait partie de la vie de Reda et il lui faut l’accepter pour éccomplie son pèlerinage.

Le coucher de soleil qui clot cette séquence (1h 02’ 42”) avant le geste de conciliation du père inscrit lette conclusion dans une idée d’absolu et d’éternité : la solution, semble-t-il, n’appartient ni au père ni à Reda…

Images pour le repérage


















Pistes de travail

Circulation des objets

Chacun des deux personnages est caractérisé par une série d’objets personnels aux apparitions récurrentes qui symbolisent leur rattachement à une culture et à des attachements, affectifs ou spirituels.

Cherchez quels objets sont associés à Reda, et ce qu’ils deviennent au cours du voyage. Même recherche pour le père. Que nous apprend cette mise en scène sur le deux personnages et leur relation ?

Personnages et paysages

Tout au long du film défilent des paysages. Chercher où est la plupart du temps placée la caméra. Quelle intention du réalisateur révèle ce choix de mise en scène.

Des allégories et des symboles

Le film contient un certain nombre d’allégories et de symboles qui permettent de révéler des significations enfouies au cœur du film.

À l’aide de quel personnage le réalisateur fait-il comprendre que le père a pour mission de guider Reda. À quel épisode de la Bible et du Coran fait penser la scène où le père tente d’égorger l’agneau qui s’échappe ?

Dramaturgie

Quels sont les deux sens du titre « Le Grand Voyage »

De quel point de vue est raconté le voyage ?

Montrer que le père et le fils sont au départ aussi différents que deux étrangers.

Quel moyen a trouvé le scénariste pour obliger le père et le fils à se parler. Les rapports du père et du fils qui constituent l’intrigue principale évoluent au cours du voyage. On distingue trois phases. Caractériser les rapports au cours de chaque phase.

Relever les obstacles que le père et le fils rencontrent au cours du voyage.

Relever les rencontres qu’ils font. Quelle est celle qui fait éclater le duo père fils ?

Qu’est-ce qui provoque les colères du père ? Pourquoi ?

Personnages

Faire le portrait du père et celui du fils.

Peut-on dire à la fin du voyage que le père et le fils ont fait chacun un pas vers l’autre ? Justifier la réponse.

Le pèlerinage à la Mecque

Localiser La Mecque et chercher pourquoi c’est devenu le plus grand pèlerinage du monde islamique. Chercher pourquoi le père ne veut pas attendre que son fils ait passé le bac avant de le conduire jusqu’à La Mecque ? Décrire le vêtement que revêt le père avant son entrée à La Mecque. Comment sont vêtus les autres pèlerins ? Quels effets cela produit-il ?

À quel moment du film, le père dit-il à son fils que le pèlerinage à La Mecque est l’un des cinq piliers de l’islam ? Chercher quels sont les quatre autres piliers de l’Islam (dans le livre d’Histoire de 5e par exemple), puis chercher dans le film si le père et le fils les respectent pendant le voyage.

Le parcours

Faire la liste des villes, régions et pays traversés qui sont cités. Chercher sur une carte et vérifiez si le film montre toute les étapes de ce voyage de 5000 km. Dans le cas d’une réponse négative, chercher les ellipses ?

Quel est le moyen de transport le plus utilisé par les pèlerins musulmans qui partent de France ?

Road movie

Le terme road movie désigne un genre cinématographique où la route et les lieux qu’elle traverse servent de contexte au récit. Les road movies se caractérisent souvent par une quête initiatique des personnages, qui vont mûrir au fil de leurs rencontres et de leurs expériences et devenir « adulte », le voyage se chargeant au passage d’une dimension de « rite de passage ». relever ce qui rattache Le Grand Voyage à un road movie. Cherchez d’autres films qui sont des road movies.

Joël Magny d’après Bernard Bastide, le 26 août 2009

Expériences

– Le pèlerinage de La Mecque

Chaque année, à une date précise (durant la première quinzaine du mois dhû-I-hija (le dernier mois du calendrier musulman, soit trois mois après le Ramadan), la ville accueille le plus important pèlerinage du monde islamique, qui réunit plus de deux millions de pèlerins venus du monde entier. Située à l’Ouest de l’Arabie Saoudite, dans le désert du Hedjaz, à 70 kilomètres environ de la Mer Rouge, c’est la cité la plus Sainte de l’Islam. Son statut particulier s’explique par le fait qu’elle est la ville natale du Prophète Mahomet et le point de départ de sa mission.

Les rites du hadj

Le pèlerinage du hadj procède d’un certain nombre de stations ritualisées. Lorsqu’il arrive à La Mecque, le pèlerin mâle doit procéder à des ablutions complètes et revêtir un vêtement spécifique, en l’occurrence deux pièces de tissu blanc, non cousues, ainsi que des sandales. Lorsque Réda se réveille, le matin du premier pèlerinage, il aperçoit son père entrain de finir d’ajuster cette tenue. Lorsqu’il a procédé aux ablutions et revêtu ce vêtement, le pèlerin est dit « en état d’ihram », c’est-à-dire de sacralisation, ce qui induit un certain type de comportements. Cet état de consécration symbolise la séparation entre le Musulman et le monde profane, soulignant son désir d’être seul avec Dieu.

C’est la raison pour laquelle Réda tentera vainement d’engager la conversation avec son père, en marche au milieu de ses condisciples. Il est à remarquer qu’à partir de cet instant, les pèlerins sont tous vêtus de façon identique, ce qui a pour conséquence de gommer les différences sociales et économiques, de magnifier l’unité du peuple musulman.

Seul ou en usant d’un guide, le pèlerin doit ensuite effectuer un certain nombre de rituels. La première partie, effectuée à n’importe quel moment compris dans la période de deux semaines, comprend :

– une visite à la Ka’ba, la pierre noire et creuse enclose dans la mosquée al-Masjid-al-Haraam, la plus grande mosquée du monde. Il doit en faire sept fois le tour en embrassant la pierre noire, située sur le mur oriental.

– sept allers et retours, en courant, entre les deux collines sacrées de Safa et de Marwa, en souvenir des allées et venues de Marwa en quête d’eau pour son fils Ismaël

La seconde partie, qui doit obligatoirement avoir lieu entre le huitième et le douzième jour du pèlerinage, comprend :

– une visite, à pied ou en bus, à la plaine d’Arafat, située à 25 kms de La Mecque. Le pèlerin s’y remet entièrement à Dieu, priant et méditant de midi au crépuscule.

– une visite à Muzsalifa, une localité voisine, où ils passent la nuit

– un voyage à Mina où ils lapident une colonne qui symbolise le diable ; celle-ci est suivie du sacrifice d’un mouton ou d’une chèvre, baptisé Aïd el-kebir, en souvenir du sacrifice d’Abraham. Célébrée en même temps dans le monde entier le 10 du mois de dhou al-hija (le dernier mois du calendrier musulman), il s’agit de la plus grande fête du monde musulman.

– se raser ou de couper les cheveux.

– retour à La Mecque où l’on effectue un nouveau circuit autour de Ka’ba, ultime étape du pèlerinage.

– certains pèlerins retournent à Mina pour lapider une nouvelle fois la colonne rocheuse.

– Les cinéastes venus du Maghreb

C’est dans les années 70 que commence à exister un cinéma réalisé par des cinéastes originaires des pays du Maghreb et portant un regard sur les immigrés vivant en Métropole. Le pionnier est Ali Ghanem (ou Ghalem). Né en 1943 à Constantine (Algérie), fils de paysans, Ali Ghalem n’a reçu d’autre éducation que celle d’une école coranique. De son propre aveu, il n’a pu lire le Français que bien des années après son arrivée en métropole, en 1965. En 1970, il réussit, avec peu de moyens, à écrire et réaliser Mektoub (en arabe : « C’était écrit »), une fiction très documentée sur la condition désastreuse des travailleurs algériens en France (surexploitation, entassement dans le bidonville de Nanterre, etc.), vue à travers le regard d’un ouvrier du bâtiment. Sept ans plus tard, L’Autre France (1977) marque un degré supplémentaire dans la prise de conscience sociale. Licencié de son usine de textile lilloise, Rachid va s’engager dans la lutte contre le racisme et l’exploitation par le travail.

Le ton se fait plus combatif avec Les Ambassadeurs (1976) du Tunisien Naceur Ktari (né en 1943). Salah débarque à Paris où il découvre la vie des immigrés maghrébins, rejetés des autres communautés, se heurtant sans cesse aux Français avec lesquels ils cohabitent par force. Le racisme de certains de ces derniers fait deux victimes. Salah organise une manifestation devant le Palais de justice. Assistant de Rossellini et de Dino Risi, comme de Steven Spielberg pour la partie des Aventuriers de l’arche perdue tournée en Tunisie, Naceur Ktari travaille pour la télévision tunisienne et réalisera son second long métrage dans son pays d’origine vingt-cinq ans après le premier, Sois mon amie (2000).

Le cinéma réalisé par les immigrés du Maghreb dans ces années 70 est marqué par l’après-68 et la politisation du cinéma, parfois directement documentaire et militant (Quitter Thionville, de Mohammed Alkama, 1977), mêlant parfois aussi la situation réelle du cinéaste et le propos du film, comme Sidney Sokhona avec Nationalité : immigré (1973-1975), sur un foyer sordide de la rue Riquet dans le XIXe arrondissement de Paris. Rares sont les films qui sortent de ce cadre politique sérieux et souvent (par souci de vérité, hélas !) misérabiliste, comme Ali au pays des merveilles, de Djoubra Abouda et Alain Bonamy (1977), qui lorgne vers le merveilleux. Le second film de Sokhona, Safrana ou le droit à la parole (1978) recourt à un certain humour tout en décrivant les situations matérielles plus que difficiles de quatre immigrés. Il faudra néanmoins quelques années pour qu’un cinéaste algérien, Mahmoud Zemmouri, né en 1946, arrivé en France en 1968, désireux de parler de la condition d’immigré sans misérabilisme et en élargissant la cible potentielle de spectateurs, fasse le choix délibéré de « traiter de sujets épineux avec de l’humour ». Prends 10 000 balles et casse-toi (1981) s’en prend à la prime de retour instauré par la Loi Stoleru. Il s’attaque ensuite à aon propre pays, en particulier la Révolution algérienne (Les Folles années du twist, 1986), avant de revenir à l’hexagone et la place des immigrés de la deuxième génération dans les banlieues françaises avec 100% arabica (1997) et Beur, Blanc Rouge (2006).

Progressivement, la description de la situation des immigrés se fait moins strictement militante et réfléchit en profondeur sur les différences, non plus seulement entre Français (souvent parisiens) et immigrés, mais aussi entre les situations des immigrés eux-mêmes. Comme le précise René Prédal (dans « 50 ans de cinéma français », Nathan, 1996), « les nouveaux cinéastes maghrébins [des années 80] s’expriment de préférence dans le créneau du cinéma d’auteur destiné à un vaste public : fiction, acteurs professionnels et problèmes de sociétés susceptibles d’intéresser les deux communautés susceptibles d’intéresser les deux communautés, en s’attachant surtout aux jeunes de la seconde génération et non plus à celle des pères déboussolés et solitaires dans les bidonvilles. »

Le réalisateur qui a le plus fait connaître et apprécier ce qu’on a appelé alors le « cinéma beur » – expression que nombre de cinéastes originaires du Maghreb refusent farouchement comme réductrice – est sans aucun doute Medhi Charef (ou Cherif). Ancien tourneur dans une usine, Charef écrit d’abord un roman (1983), puis, avec le soutien actif de Costa-Gavras, en fait un film remarqué, Le Thé au harem d’Archimède (1985). Le héros, Madjid, est le type même du héros de ce cinéma, jeune tiraillé entre deux mondes, deux cultures, comme son copain Pat. La petite délinquance est leur lot, par nécessité, avec son aboutissement lui aussi programmé : la prison. Mais l’important est moins la fatalité sociale que ce que vivent les deux amis au jour le jour, leur soif de vie et de liberté, jetée au visage du pays d’« accueil ». Il ne s’agit plus de revendication, d’acceptation ou de refus, mais d’une question plus simple et concrète : comment vivre en France sans perdre son identité ? Comment concilier le fait d’être algérien, marocain, tunisien, ET français ? La question ne concerne pas seulement le sujet des films, mais la démarche même du réalisateur. Si l’idée de « différence » concerne tout le cinéma de Charef, celui-ci fait œuvre d’auteur et ne se limite pas au terrain de la communauté « beur ». Une amitié lie un jeune immigré sans travail et un transsexuel (Jean Carmet) dans Mona (1987), un jeune mitron tente d’aider une droguée dans Camomille (1988)… Surtout, Au pays des Juliet (1992) décrit la perm’ de trois taulardes sur un mode qui s’éloigne définitivement du réalisme du cinéma immigré de la première génération. Dans Marie-Line (2000), c’est la relation entre la « chef » française (Muriel Robin) et les immigrés qui forment l’essentiel d’une équipe de nettoyage de nuit.

La rencontre structure logiquement nombre de ces films, que ce soit celle du Maghrébin tout juste issu du « bled » avec son cousin francisé (Salut cousin, d’Omar Gatlato,….), ou avec un milieu, des trafics et des mœurs inimaginables (Bye-Bye, de Karim Dridi, 1995). Récemment, Bouchareb décrit celle d’un Africain musulman et d’une Anglaise catholique de Guernesey (London River, 2009) dans un Londres marqué par de terribles attentats.

La recherche des origines est un autre thème fréquent pour lé génération la plus récente. C’est le cas de Rallia, la jeune héroïne de La Fille de Keltoum (2002), de Charef, adoptée par un couple suisse (on retrouve cette situation dans Little Senegal, de Rachid Bouchareb (2000). Les cinéastes de la seconde génération se sont également intéressé à l’arrivée en France de leur famille, souvent nourris de leurs propres souvenirs d’enfance. C’est le cas de Vivre au paradis, de Bouelem Guerdjou (1995) et du Gone du chaâba (1998, voir Dossier « Collège au cinéma », n°105). Réalisé par le Français Christophe Ruggia, ce dernier s’inspire du livre autobiographique d’Azouz Begag. Avec Cartouches gauloises (2007), Charef, lui, revient sur la guerre et l’Indépendance vues par deux enfants, Ali (alias Medhi Charef) et Nico, le petit français, tandis que Rachid Bouchareb remonte beaucoup plus loin dans la relation entre Français et Maghrébins dans la France en guerre en 1943, avec Indigènes (2006).

Dans ces dernières années, le cinéma beur s’est confondu, pour certains, avec le cinéma des banlieues. On a pu y voir l’origine dans les images des rodéos de la cité des Minguettes, largement diffusées par les médias et qui ont frappé les esprits, pour le meilleur comme pour le pire. Ce cinéma s’inspire pourtant le plus souvent, comme Le Thé au Harem d’Archimède, de la jeunesse de ses auteurs, en l’occurrence dans les cités de Nanterre et Genevilliers. Rabah Ameur-Zaïmeche, pour Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? (2002), fait appel à sa famille et à ses amis pour recréer l’ambiance qu’il a connue à la cité des Bosquets de Montfermeil. C’est aussi le cas de Malik Chibane avec Hexagone (1994), dont l’adolescence se passe à Goussainville. Ameur-Zaïmeche a réalisé en 2006 Bled Number One, sur la découverte de son pays (le sien, le Nord-est de l’Algérie) par un émigré de retour, devenu indésirable en France, puis Dernier maquis en 2008, sur la pratique de l’Islam dans une entreprise, interrogeant les relations complexes entre la religion et les intérêts du capital. Le réalisateur interprète les rôles principaux de ces deux derniers films.

Rien à voir pourtant avec le film de banlieue vu par les cinéastes français, avec sincérité mais sans but militant avec De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau en 1988, ou de façon plus savante mais aussi plus ambiguë dans La Haine, de Mathieu Kassovitz (1995). Un autre Français, Jean-François Richet, propose, dans État des lieux (1995) et Ma 6-T va crack-er (1997), une approche plus radicale qui demeure, douze ans après, d’actualité, montrant la banlieue comme « un territoire à conquérir à coups de fusils à pompe ». et « la montée en puissance des affrontements comme processus d’initiation et de filiation entre les jeunes » (Philippe Leclercq, dossier « Collège au cinéma » sur L’Esquive, n° …).

Nombre de films d’aujourd’hui, qu’on les appelle « beurs », « de banlieue » ou « issus de la diversité » (sic) valent avant tout par ce qu’ils disent de la vie quotidienne des familles issues de l’immigration, comme La Graine et le mulet, d’Abdelatif Kechiche (2007), en particulier des heurts entre la vision du monde des pères (et des mères) et des fils (comme dans Le Grand Voyage) et surtout des filles. C’est le cas de Samia, réalisé par le Français Philippe Faucon (2001, voir Dossier « Collège au cinéma », n°126), mais écrit par la romancière Soraya Nini à partir de sa propre adolescence. Plus encore que le jeune fils d’immigré d’aujourd’hui, et surtout différemment, la jeune « beurette » est prise entre deux cultures, cherchant à échapper à l’emprise d’une tradition qu’elle refuse sans la récuser. L’Esquive, d’Abdelatif Kechiche (2004 aux documentaires de Yamina Benguigui, comme Femmes d’islam et partiellement Mémoires d’immigrés (1998), ou ses fictions (Inch’Allah Dimanche, 2001, et Aïcha, TV, 2009). À la fin d’Hexagone, Karim Dridi avait d’ailleurs fait sienne la célèbre formule : « La femme est l’avenir de l’homme. »

Outils

Bibliographie

Dossier pédagogique « Collège au cinéma » n° 174, par Bernard Bastide, CNC, 2009. 
Critiques : Positif, n° 525, novembre 2004 (Jean-Loup Bourget) ; n°526, décembre 2004 (dominique Martinez) ; Télérama, N° 2863, 27 novembre 2004 (Aurélien Ferenczi) ; Fiches du cinéma-L’Annuel, 2005 (24 novembre, J.N.).

M. Brahammi, Hadj et Omra : guide pratique du pèlerinage à la Mecque, Tawhid Eds, 2004.
Collectif, Dictionnaire de l’Islam : histoire, idées, grandes figures, Brepols, 1995.
Le Coran, Gallimard, « Folio » n° 1233-1234, 2008.
Quentin Ludwig, Comprendre l’Islam, Eyrolles, 2004.

Association des Trois Mondes / Fespaco, Les Cinémas d’Afrique : dictionnaire, Karthala-Atm, 2000.
Collectif, Cinema métis: de Hollywood aux films beurs, CinémaAction, n°. 56, juin 1990.
« Dossier : Cinéma Beur », Cinématographe, n° 112, 1985.
Fabrice Venturini, Mehdi Charef conscience esthétique de la génération beur, Séguier, 2005.
Michel Laronde, Autour du roman beur. Immigration et identité, L’Harmattan, 1993.

Bazin, Hugues, La Culture hip-hop, Desclee de Brouwer, 1995.
Stéphanie Marteau, Pascale Tournier, Black, blanc, beur... : la guerre civile aura-t-elle vraiment lieu ?, Albin Michel, 2006

DVD

Le Grand Voyage, avec L’Exposé (cm, 24’) et entretien avec le réalisateur, d’Ismaël Ferroukhi, DVD Zone 2, PAL, TF1 Vidéo/Pyramide Vidéo, 2008. (Usage réservé exclusivement au cercle familial).
Un été aux hirondelles, VHS, PAL, Gétévé, 2003. (Usage réservé exclusivement au cercle familial).

Web

Entretien avec le réalisateur - sur le site d'Arte
Interview filmée du réalisateur - sur le site d'Arte
Fiche ABC Le France - Extraits d'articles (Document PDF téléchargeable)