Garçons et Guillaume, à table ! (Les)

Garçons et Guillaume, à table ! (Les)

France (2013)

Genre : Comédie

Écriture cinématographique : Fiction

Prix Jean Renoir des lycéens 2013-2014

Synopsis

Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : « Les garçons et Guillaume, à table ! » et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant : « Je t’embrasse ma chérie », eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus.

Distribution

Guillaume Gallienne : Guillaume
Guillaume Gallienne : Maman
André Marcon : Le père
Françoise Fabian : Babou
Nanou Garcia : Paqui
Diane Kruger : Ingeborg
Reda Kateb : Karim
Götz Otto : Raymund
Brigitte Catillon : Tante d’Amérique
Carol Brenner : Tante polyglotte
Charlie Anson : Jeremy

Générique

Durée : 1h25

Scénario et réalisation : Guillaume Gallienne
Produit par Edouard Weil, Cyril Colbeau-Justin et Jean-Baptiste Dupont

Image : Glynn Speeckaert
Montage: Valérie Deseine
Musique originale : Marie-Jeanne Serero
Son : Marc-Antoine Beldent
Décors : Sylvie Olivé
Costumes : Olivier Beriot
Première assistante mise en scène : Emilie Cherpitel

Autour du film

Critique Télérama du 20 novembre 2013, par Mathilde Blottière :

Comédie-Française et comédie populaire. Guillaume Gallienne est la preuve vivante qu’on peut être à la fois sociétaire de l’auguste institution et réalisateur de l’un des films grand public les plus désopilants de l’année. En adaptant son one-man-show au cinéma, ce pitre génial à la voix précieuse signe en guise de premier film une fantaisie sur le genre. L’histoire est celle d’un malentendu fondateur : un petit garçon fasciné par sa mère, à qui il ressemble étrangement, grandit dans le fantasme (largement encouragé par son dragon de maman) d’être une fille. Au nom du vieux préjugé selon lequel un garçon efféminé aime nécessairement les hommes, ses parents et ses frères croient savoir où iront les préférences du petit dernier. Ou comment, devenu adulte, Guillaume va devoir faire son coming out hétéro…

Au théâtre, l’acteur endossait tous les personnages. Dans le film, il est seulement Guillaume à tous les âges et… sa mère vénérée, qu’il interprète en portant perruque, lunettes et tailleur-pantalon. Belle idée qui, au-delà du plaisir du travestissement et de sa puissance comique, incarne l’amour fusionnel. Comment ne pas songer à la passion ­filiale d’un autre acteur de théâtre, Philippe Caubère, qui n’a cessé de réinventer sa chère Claudine à longueur de spectacles ? La mère selon Gallienne, c’est ce mélange détonnant d’élégance et de vulgarité — « Eh ben, mes enfants, c’étaient les chutes du Niagara ! » dit-elle en sortant des toilettes. Cette collision entre la virilité maternelle et le maniérisme du fils est irrésistible.

Hommage aux femmes, que le narrateur observe sous toutes les coutures et croque à l’envi, ce récit d’apprentissage est aussi une ode à l’Acteur. Cette drôle d’engeance qui vampirise son entourage pour créer des personnages fictifs. L’imaginaire et la fantaisie sont chez lui tout-puissants et se projettent sur les réalités les plus prosaïques — fille manquée, Guillaume déploie ainsi des trésors d’ingéniosité pour transformer ses tenues de garçon en accessoires féminins. Avec sa tête de Droopy et ses boucles improbables (on frise la coupe afro), le comédien, éblouissant de technique, excelle à nous faire partager son plaisir du jeu. Il faut le voir interpréter, dans sa chambre d’enfant, une entrevue entre Sissi et la duchesse Sophie… Une scène mérite encore le déplacement : un face-à-face burlesque et bégayant entre Guillaume, essayant d’échapper au service militaire, et un malheureux psychiatre de l’armée. Si vous ne riez pas, on ne peut vraiment plus rien pour vous.

Pistes de travail

Du théâtre au cinéma

L’enjeu autobiographique est annoncé dès les premières secondes : Gallienne, dans sa loge, s’apprête à entrer en scène pour une énième représentation de la confession intime, Les Garçons et Guillaume, à table !, qu’il a donnée, nous l’avons dit, sur les planches de 2008 à 2010. On le voit ôter symboliquement le maquillage blanc qu’il porte sur le visage et entrer en scène. L’image du théâtre (d’avant) est ensuite raccord avec le film (de maintenant). Film qui effectuera encore de fréquents allers-retours sur la scène de théâtre, non que ceux-ci nourrissent vraiment la fiction (il y a même parfois redondance narrative), mais plutôt pour lui fournir quelque respiration et mettre à distance le geste purement burlesque du cinéma. Comme une manière de scander, à intervalles plus ou moins réguliers, toute la gravité du propos sous la comédie et de souligner tout ce que cette drôle de relation mère-fils recouvre de malentendus parfois douloureux. À côté des grimaces affichées par Guillaume dans les parties prises en charge par le cinéma, le visage de Gallienne en contrepoint est alors toujours d’une grande retenue. Presque solennel. Émouvant.

Être un homme

C’est donc sans fard, sans le masque du comédien, que Gallienne entend se présenter au public et dire « sa » vérité sur ses jeunes années, sa relation compliquée avec sa famille et sa mère notamment. L’exercice paraît aisé, tant l’acteur-réalisateur du film est habituellement prompt à parler de lui dans les médias. Il est au contraire périlleux, car il ne questionne pas seulement une petite affaire privée (un travers trop souvent répété dans le genre à la mode de l’autofiction), il demande en vérité ce que signifie qu’être un homme, ce qui fait que nous appartenons à tel ou tel genre, masculin ou féminin. Au-delà des traditionnelles questions attachées au concept d’identité (qui suis-je ? Où vais-je ?), Gallienne interroge ce qui définit un homme aux yeux de la société. Et pose par là même la question fondamentale de la liberté. Suis-je un être d’un genre soumis à des règles ou codes sociaux, des images ou préjugés diffusés par le groupe et auxquels je m’astreins pour être en accord avec la norme ? Ou, au contraire, suis-je en capacité suffisante de résister à la force aliénante du groupe, de me déterminer par rapport à lui, de me choisir homme (ou femme) en tant que tel(le) ? Sachant que Guillaume est un garçon efféminé, est-ce que cela fait pour autant de lui une fille ? Ne reste-t-il pas un garçon, même s’il n’en a pas l’allure (conventionnelle) ? Les garçons sont-ils tenus d’adopter des comportements virils, comme les camarades de pension de Guillaume en Angleterre, pour être reconnus comme des êtres au masculin ?

Sexualité choisie

Guillaume a toujours eu un comportement précieux. Partant, sa mère, grande bourgeoise décomplexée d’origine russo-géorgienne, décide qu’il est une fille. « Les garçons et Guillaume, à table ! », cette simple phrase-titre du film, prononcée par elle durant l’adolescence de Guillaume, suffit dès lors à redessiner les lignes, à faire ipso facto de son fils un autre être, hybride, plus tout à fait un garçon, pas non plus complètement une fille (il n’en a pas les attributs), un « garçon-fille ». Un homosexuel alors ? Guillaume se pose la question, tente d’y répondre et de correspondre à ce à quoi sa mère le prédestine, en faisant l’expérience de l’homosexualité. Une expérience choisie ? Mais par qui ? Qui, de Guillaume ou de sa mère, aura fait le choix de sa sexualité ? La réponse est contenue dans le résultat de cette expérience, qui est un échec. L’heure du coming out a sonné. Guillaume n’est pas homosexuel. Encore que, pas si simple. Celui-ci en pince secrètement pour Jeremy, l’un de ses camarades de pension anglaise. Or, là encore, est-ce que son désir, certes assumé, est pleinement choisi par lui-même ou est-ce qu’il n’est pas, au fond, une des séquelles de son aliénation à sa puissante mère ?

Des modèles

Au cours de son adolescence tourmentée par la question identitaire, Guillaume se sent davantage fille que garçon, fût-il homosexuel. C’est la raison pour laquelle il se déguise en princesse, comme variation de la figure extravagante de sa mère à qui il s’identifie constamment. Un comportement mimétique qui amuse autant qu’il n’agace son modèle maternel qui semble souvent désireux d’éloigner sa pâle copie (en Angleterre, en Espagne, etc.). Bien sûr, l’idée de Gallienne d’incarner lui-même sa mère constitue une des clés d’interprétation de son comportement schizophrène et morbide. À cela s’opposent toutes les figures de la virilité que tentent de lui inculquer (insistons, avec un certain tact) son père et ses deux frères, tous trois porteurs du regard normatif selon lequel le type (viril) définit le genre (masculin). Apparaître pour être, en somme ? Trop vain, réducteur et superficiel, nous dit Gallienne.

Naissance d’un acteur

Au cours de son pénible apprentissage, Guillaume se voit donc double : lui, le garçon et cette autre qui est en lui, la fille. Il doit composer constamment avec son alter ego, jouer de cette double personnalité qui, on s’en rend compte, participe progressivement de la naissance de sa vocation d’acteur, l’accompagne tout au long de sa lente prise de conscience de ce qu’il est et veut devenir : un autre et lui-même en même temps ; un comédien et tous les rôles qu’il porte et portera en lui. Finalement, Les Garçons et Guillaume, à table ! est l’histoire d’une lente acceptation de soi, de ce que l’on est ou que l’on décide d’être. Au terme de son tortueux cheminement fait de séances de psychanalyse et autres épreuves (le sport, la balnéo…), Guillaume finit par rencontrer Gallienne, par fusionner avec son double, par se réconcilier avec cette autre qui est en lui – sa part féminine – et être un homme tout simplement. Les Garçons et Guillaume, à table ! est au bout du compte une leçon d’intelligence et de tolérance sur tout ce qui fait de nous des êtres différents. À méditer.

Extrait du dossier pédagogique du réseau Canopé