Foxfire, confessions d’un gang de filles

Canada, France (2012)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Prix Jean Renoir des lycéens 2012-2013

Synopsis

1955. Un quartier populaire d’une petite ville des États-Unis.
Cinq adolescentes concluent un pacte à la vie à la mort : elles seront le gang Foxfire et vivront selon leurs propres lois. Mais cette liberté aura un prix…

Distribution

Raven Adamson : Legs
Katie Coseni : Maddy
Madeleine Bisson : Rita
Claire Mazerolle : Goldie
Rachael Nyhuus : Violet
Paige Moyles : Lana
Lindsay Rolland-Mills : VV
Alexandria Fergusson : Marsha
Chelsee Linvingston : Agnès
Tamara Hope : Marianne
Rick Roberts : Mr. Kellog
Briony Glassco : Mme. Kellog
Ali Liebert : Muriel
Gary Reineke : Père Theriault
Ron Gabriel : Oncle Wirtz
Ian Matthews : Mr. Buttinger
James Allodi : Acey Holman
Brandon Mc Gibbon : Ab Sadovsky

Générique

Réalisation : Laurent Cantet
Scénario : Robin Campillo, Laurent Cantet

D’après le roman « Confessions d’un gang de filles » de Joyce Carol Oates

Producteurs : Carole Scotta, Caroline Benjo, Simon Arnal, Barbara Letellier

Direction de la photographie : Pierre Milon
Direction artistique : Franckie Diago
Costumes : Gersha Phillips
Musique originale : Timber Timbre
Montage : Robin Campillo, Sophie Reine, Stéphanie Léger, Clémence Samson
Prise de son : Kelly Wright, Nicolas Cantin
Mixage : Jean-Pierre Laforce
Premier assistant mise en scène : Pierre Ouellet

Autour du film

Critique « Le Monde », du 1er janvier 2013, par Thomas Sotinel

Un groupe adolescent, écrasé par l’inégalité, en lutte contre l’institution : par deux fois, Laurent Cantet aura lancé une escouade de jeunes gens à l’assaut de citadelles imprenables. Pourtant, Foxfire et Entre les murs (Palme d’or 2008 à Cannes) sont tout à fait dissemblables, avec pour point commun unique le regard passionné que pose un quinquagénaire sur ce moment de la vie si propice à la révolution.
On laissera donc les adolescents parisiens d’aujourd’hui à leur salle de classe pour partir loin, dans l’espace et dans le temps. Foxfire, confessions d’un gang de filles est adapté d’un roman de Joyce Carol Oates de 1993 (la traduction est parue chez Stock sous le titre Confessions d’un gang de filles). L’auteure imaginait le récit par l’une de ses membres des exploits d’une bande d’adolescentes qui terrorisent une petite ville du nord de l’Etat de New York, au temps d’Eisenhower.
A l’opposé de la matière semi-documentaire que Cantet a souvent travaillée, on saute ici à pieds joints dans la fiction. Rien n’indique qu’un groupe de filles aux idéaux révolutionnaires ait sévi à l’époque aux Etats-Unis.

Affranchi de la réalité, Laurent Cantet lui témoigne pourtant toujours le même respect. Ce qu’il veut montrer doit obéir aux lois de la vie en société, et la dynamique du groupe des filles est dépeinte avec une exactitude mathématique, pour mieux amener les paroxysmes, la tragédie. Au centre de ce groupe, on trouve Legs (Raven Adamson), orpheline de mère, abandonnée par son père, animée par une colère inextinguible. Elle attire des particules de désordre : Maddy (Katie Coseni), une intellectuelle frustrée (elle est d’un milieu trop modeste pour que les enseignants lui prêtent attention), Rita (Madeleine Bisson), victime des désirs que suscite sa beauté, Goldie (Claire Mazerolle), une authentique brute. Legs se forge toute seule une idéologie révolutionnaire, empruntant quelques bribes de discours à un prêtre défroqué, passé à l’alcoolisme avec un détour par le léninisme, et fonde une société secrète, qu’elle baptise Foxfire.

Les impasses de l’utopie

Le groupe commence par se venger des hommes qui les oppriment, les menacent et les violentent. Ses premiers exploits (graffitis, corrections musclées) sont filmés avec une jubilation qu’on ne connaissait à l’auteur. La bête machiste n’est pas sans ressources et prend bientôt le dessus sur les révolutionnaires. Legs se retrouve en maison de correction.

Foxfire a été tourné dans l’Ontario, où l’on trouve encore les paysages urbains qui ont disparu des villes des Etats-Unis. Laurent Cantet a fouillé pour faire remonter à la surface ce que l’on ne voit quasiment jamais des années 1950 lorsque le cinéma américain s’en empare : la pauvreté, l’inégalité, la violence institutionnelle.
Bien sûr, les voitures sont grosses, et les autoradios crachent la musique de l’époque, rock’n’roll générique, ballades sirupeuses. Mais ces lieux communs ne sont là que parce qu’on ne peut faire autrement. D’ailleurs, sur la bande-son, on entend mieux le très contemporain et très mélancolique groupe canadien Timber Timbre que les classiques de l’époque.

La deuxième partie du film, après la libération de Legs, oppose l’euphorie de la violence révolutionnaire à la difficulté de l’utopie réalisée. La bande de filles, qui ne fait que croître, connaît les affres de toutes les organisations : les factions, les rivalités entre orthodoxes et novateurs, le culte de la personnalité, le poids de l’organisation quotidienne, le risque de la surenchère dans l’action – jusqu’au drame. A la place des intellectuels exaltés que l’on trouve d’habitude dans ces situations, Joyce Carol Oates et Laurent Cantet ont placé des adolescentes qui ne sont pas seulement mues par la soif d’absolu ou l’envie de pouvoir, mais aussi par le désir. C’est dans cette double nature des personnages que réside la force d’attraction de Foxfire.

Cantet a choisi ses actrices parmi des jeunes filles inexpérimentées avec le même bonheur que pour Entre les murs. Il a demandé à ces teenagers qui ont l’âge (et la nationalité) de Justin Bieber de revenir à un état d’innocence et de révolte qu’elles semblent avoir trouvé du premier coup. Raven Adamson et ses camarades se meuvent dans cet univers flottant entre histoire et utopie avec une aisance à couper le souffle. Ce sont elles qui font oublier les artifices du scénario et font passer les démonstrations politiques un peu systématiques. Elles, finalement, qui raniment la flamme de la révolte.

Pistes de travail

Le poids de l’ennui et des traditions

Si le vocable foxfire signifie « feu follet », il désigne aussi une « jolie fille » dans le langage populaire. Foxfire donc, comme une provocation, un cri de vengeance, une revendication légitime de la dignité des femmes bafouées par le monde des hommes.

Nous sommes dans les années 1950, en plein rêve américain de la société d’abondance, du plein-emploi, du crédit, des loisirs, de la réussite sociale où les riches tels que Monsieur Kellog, le père de Marianne bientôt kidnappé, font figure de modèle, où tout est standardisé, figé, fondé sur la figure du mâle qui entreprend, qui domine et qui dicte « sa » loi. Une société machiste où la femme n’a de place que celle – subalterne – que l’homme lui a assignée. Les humiliations sexistes y sont fréquentes, le poids des différences sociales extrêmement pesant, l’ennui aussi. Dans ce contexte d’autant plus archaïque que l’intrigue du film se situe dans une ville de province (en plein maccarthysme), Legs s’insurge. Cette orpheline de mère, abandonnée par son père, en veut à cette société inégalitaire qui ne lui donne pas les moyens de se repérer, de s’épanouir, de trouver sa place. Au comportement indigne et pervers des adultes tels que le professeur de mathématiques et l’oncle de Maddy, elle se montre intraitable, insoumise, rebelle.

L’innocence de l’adolescence révoltée

 Tout relève d’abord du banal comportement juvénile en révolte que Cantet filme avec une fébrilité contenue. On se retrouve dans le secret des chambres adolescentes pour dire son dégoût romantique de l’institution. On se ligue, on se jure une fidélité éternelle. Un rite initiatique est organisé, qui scelle solennellement l’union contestataire entre Legs et ses amies de lycée, Maddy, Rita et Goldie. À cette occasion, une petite flamme, comme signe d’appartenance et emblème de la colère des quatre jeunes filles, est tatouée sur l’épaule de chacune. L’acte de naissance de Foxfire doit en effet rappeler dans la chair martyrisée la souffrance endurée par les femmes. Et comme si ce symbole (de destruction et de purification) devait pouvoir les protéger de leurs actes délictueux, les filles se déchaînent rapidement, la fougue l’emporte. En toute innocence. Liées par le secret, celles-ci sont mues par le fantasme de l’invisibilité des commandos terroristes et se croient invincibles. Des victimes sont désignées, des cibles sont visées. Cependant, emporté par son élan, le groupe ne pense pas à théoriser ; il cherche seulement à se réaliser dans l’action du moment. La gravité le dispute à l’insouciance. On rit beaucoup ; on ne pense pas aux conséquences. Symbole mâle du capitalisme triomphant, la société de consommation, dont sont exclues les Foxfire, est dénoncée, les vitrines des magasins recouvertes de slogans vaguement nihilistes. Enfin,le vol d’une voiture suivi d’un violent accident clôt la première partie du récit dont la narration sous forme de flash-back est assurée par Maddy.

Distance et nostalgie du regard

Le double point de vue de Maddy sur l’action (pendant et après) est aussi celui du réalisateur, qui évite à la fois l’éloge de la jeunesse révoltée et sa condamnation. Il s’agit d’un regard juste, à bonne distance, qui accompagne, qui observe avec soin les lignes de force du groupe et qui surtout tente de comprendre les bouleversements, les prises de conscience qui agitent l’adolescence. Outre ses méthodes de filmage (caméra à l’épaule) et de travail avec ses comédiens amateurs, c’est aussi une manière pour Cantet d’écrire son histoire au présent, de l’inscrire dans la modernité malgré le contexte daté du film. Ce à quoi s’ajoute le choix anti-carte postale (à la manière d’American Graffiti) des décors réalistes et somme toute contemporains. Enfin, la revisitation des événements vécus et consignés par Maddy (elle est l’historienne du groupe) permet de superposer deux époques et de mesurer l’écart qui les sépare, d’apprécier les manques et les erreurs, et de faire souffler sur le film la fragrance douce-amère des rêves brisés d’adolescents.

L’escalade de la violence

Après la pause narrative correspondant au passage de Legs dans une maison de correction, le récit acquiert un nouveau rythme, plus soutenu. Dès lors, Legs n’est plus la même. Physiquement, plus garçonne. Sa pensée, qui demeure intuitive, est plus ferme, sa colère plus sourde. Nourrie des paroles du vieux militant communiste, sorte de chambre d’écho des discours informulés par les Foxfire, Legs est au fond plus déterminée dans sa volonté quasi suicidaire de vengeance. Pour renforcer la cohésion de son groupe, elle loue une maison. Un espace communautaire se crée alors, avant d’achopper sur les nécessités triviales de la nourriture et du logement, et de déraper définitivement vers le crime crapuleux. Mais avant cela, disions-nous, avant cette dérive que Cantet nous conte avec une rigueur métronomique, les Foxfire auront construit une belle utopie, un espace d’avant-garde qui tient à la fois du collectif révolutionnaire, du phalanstère féministe et de la communauté de jeunes marginaux. Hélas, le désir de liberté ne conduira pas à l’émancipation. Au fur et à mesure plus nombreuses, les filles, qui vivent en vase clos, en viennent à renier leur identité, à refouler leur féminité (sauf pour en faire un enjeu de rétorsion). Elles n’échappent pas au contexte ultra-raciste de l’époque et refusent même une jeune Noire qui tente d’intégrer le groupe. Elles se sectarisent, excluent celles comme Maddy qui sont jugées trop consensuelles. Le groupe implose finalement, laissant Legs à un possible destin révolutionnaire.

Extrait du dossier pédagogique du réseau Canopé

Outils

Dossier pédagogique du réseau Canopé :
www.eduscol.education.fr/pjrl/films/pjrl-2013/canope2012-2013/foxfire

Site du distributeur et dossier à télécharger :
www.hautetcourt.com/film/fiche/191/foxfire-confessions-dun-gang-de-filles