Courts-métrages Collège 2007-2008

Histoire tragique avec fin heureuse

Canada, France, Portugal (2005)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Film d'animation

Archives CAC, Collège au cinéma 2007-2008

Synopsis

Il suffit d’avoir un cœur d’oiseau qui bat très fort pour se sentir différent. Une petite fille en fait la troublante expérience dans son village. Aussi bien alors se faire oublier et se fondre douillettement dans la foule. Mais il serait si bon de prendre des ailes et s’envoler… Et si c’était là le meilleur moyen de trouver dans le cœur des autres la place dont on a toujours rêvé ?

Générique

Six courts métrages Collège au cinéma 2007-2008

Titre original : Historia tragica com final feliz
Réalisation : Regina Pessoa
Scénario : Regina Pessoa
Image : Regina Pessoa
Graphisme : Regina Pessoa
Décor : Regina Pessoa
Musique : Normand Roger
Son : Pierre-Yves Dapeau
Montage : Hervé Guichard
Production : Folimage
Distribution : Folimage
Durée : 7 mn
Voix : Manuela Azevedo, Elina Lowhenson

Autour du film

Regina Pessoa travaille en recouvrant d’abord en partie d’encre de Chine ses personnages dessinés sur papier glacé. Dans un deuxième temps, elle gratte l’encre pour faire apparaître les détails de ses personnages. Elle ne construit donc pas uniquement son dessin en ajoutant mais en retranchant de la matière à l’aide d’une lame pour gratter la couche supérieure et révéler la lumière.

Cette technique est un parti pris très marqué. Loin de la douceur du pinceau des lavis de Father and daughter, l’opération porte en elle-même une certaine violence(il faut une lame acérée pour faire apparaître la forme). Le rendu qui s’apparente à la gravure est très contrasté et donne des formes saillantes.

Régina Pessoa choisit cette pratique pour traiter d’un sujet très personnel : son film qui parle de la différence est dédié à sa mère, qui a souffert de schizophrénie.

  • Un film d’auteur

La dédicace inscrite au générique d’ouverture nous donne un premier indice sur la dimension personnelle que porte ce film. Rédigée en portugais, la langue maternelle de la réalisatrice, elle permet aussi d’identifier la voix off. Délibérément féminine, jeune, claire, marquée par un accent prononcé … elle pourrait être celle de la réalisatrice Régina Pessoa (ce n’est cependant pas le cas). Ces choix humanisent la voix off et participent à l’implication du spectateur. Nous sommes prêts à suivre la narratrice dont le ton mystérieux nous interpelle autant que la formule propre aux contes « Il était une fois… ».

Le travail de fourmi, long et artisanal que représente la réalisation de ce film nous renseigne aussi, a posteriori, sur la détermination de la réalisatrice à faire ce film. Mais c’est avant tout l’intensité émotionnelle et l’énergie qu’il dégage qui impose ce film comme un travail profondément personnel et singulier.

  • Un film vivant

Les nombreux mouvements de caméra contenus dans Histoire tragique le dotent d’une remarquable vitalité. Le film s’ouvre sur un mouvement complexe qui semble quitter le corps d’un oiseau pour se fixer sur le sol. Le mouvement inverse refermera le film : nous quitterons alors le village pour nous envoler avec la petite fille à laquelle nous nous sommes identifiés tout au long du film. Ces mouvements de travelling qui structurent ce court-métrage sont associés à la fillette. Contrairement aux habitants du village représentés en plan fixe, son cadre à elle est presque toujours en mouvement. Les travellings l’accompagnent ou bien nous installent à sa place via des points de vue subjectifs lors des ses déplacements (vélo, course, envol).

La bande sonore donne littéralement un cœur au film. Les premières notes de guitare électrique et leur réverbération au début du film sonnent comme une éclosion, une entrée dans la vie. Le rythme binaire qui s’y ajoute arrive au moment de l’apparition de la fillette à l’écran, et ce cœur qui palpite ne cessera définitivement qu’à la fin du film, au moment de l’envol du personnage. Histoire tragique commence comme une naissance et se termine comme dans un dernier soupir.

Grâce au cinéma d’animation qui permet de transgresser les limites rigides du corps, le spectateur pénètre à plusieurs reprises à l’intérieur du personnage. C’est le cas au début du film. Filmée en plan fixe, la fillette à vélo roule en direction de la caméra et semble passer à travers elle. Le plan moyen se transforme en un très gros plan intrusif dans son cœur battant.

En y regardant de plus près, ce voyage au centre du corps, dans l’intime donc, concerne le film dans son entier. En effet, la technique graphique qui donne un aspect fibreux aux formes, évoque le dessin d’anatomie (la contre plongée sur la rue avec ses perspectives déformées représente clairement un muscle), c’est-à-dire la représentation conventionnelle de l’intérieur du corps.

Par ailleurs, l’animation fait vibrer en permanence les stries du dessin. Nous sommes comme immergés dans un organisme : tout à l’air vivant.

  • Le son : élément dramatique et identité sonore du personnage

Comme l’annonce la voix off au début du film (« il était une fois une petite fille dont le cœur battait plus vite que celui des autres personnes ») le son va jouer un rôle important dans l’histoire. En effet, ce sont les battements du cœur de la fillette qui marquent sa différence, indisposent la population et sont à l’origine de son exclusion. Mais ce rythme dynamise aussi le film (il lui donne sa cadence) et en sert de base à la composition musicale de Normand Roger (compositeur de la musique de Father and daughter, un autre film de la sélection). Ainsi il alterne entre deux conditions : de bruit interne à l’histoire (le cœur) et donc entendu par les personnages, il devient parfois élément musical (la cadence) externe à l’histoire.

La musique, elle, caractérise la fillette. A tous moment, elle nous renseigne sur son état psychique. Grave et tourmentée dans les moments de crise, elle s’emballe et monte en intensité. Douce et aérienne, elle s’apaise lorsque tout va bien. L’adoption de la fillette par la population est d’ailleurs traduite de manière purement sonore. Dans la dernière partie du film, lorsque les villageois s’habituent aux battements de son cœur, les bruits du village (caisse enregistreuse, rebonds du ballon, martèlement des talons…) intègrent alors la partition musicale. Ils deviennent des éléments de rythmique. Après l’envol de la fillette, ces sons redeviennent bruits. Ils servent alors à souligner le silence. Le spectateur peut alors lui aussi ressentir le grand vide sonore qu’elle laisse derrière elle.

  • Un conte poétique

Comme l’annonce la voix off, ce film est un conte. La formule « il était une fois … » connu de tous, place immédiatement le récit du côté de l’imaginaire et du fictif. L’histoire n’est pas ancrée dans un temps précis, elle ne donne pas de repères spatiaux non plus. Ces imprécisions éloignent le récit de la logique du réel : dans un conte les personnages peuvent se transformer en oiseaux sans gène. Si l’on compare ce film aux contes pour enfants, la représentation de la fillette, à l’opposé des canons de l’enfance, peut surprendre. Elle est ridée comme une vieille dame, son corps est chétif et décharné. Pas de couleurs mais du noir et blanc. Ces choix radicaux nous éloigne de la fantaisie divertissante. Le film gagne ainsi en profondeur. Régina Pessoa réalise un conte sombre, profond mais aussi poétique. En effet, le film ne se termine pas de façon définitive : le scénario n’apporte pas de réponse claire à la disparition de la fillette mais laisse la place à l’interprétation. S’agit il d’un suicide ? La rythmique binaire du cœur s’arrête en effet au moment de l’envol. Mais l’expression « déployer ses ailes » peut aussi être entendue au sens figuré : la jeune fille a pris son envol, trouvé sa propre voie. Cette fin ouverte intrigue le spectateur. En nous questionnant, nous nous projetons et nous nous impliquons dans l’histoire.

Pistes de travail

Ce programme composé de 6 films d’animations met en valeur la diversité des styles graphiques (peinture, gravure, crayon à papier) et l’inventivité des techniques d’animation (volume, animation traditionnelle). Ce corpus permet aussi, par la comparaison, de mettre en relief différents choix de mise en scène.

Si il paraît indispensable de s’intéresser au graphisme et à l’animation dans un programme aussi spécifique, il ne faudrait pas s’y restreindre. Le « dessin animé » fait partie intégrante du cinéma et c’est pour expliciter cette idée qu’on préfère employer aujourd’hui le terme « film d’animation ».

Comme dans un film avec des personnages en chair et en os, le réalisateur met en scène ses personnages. Techniques d’animation et graphisme complexifie l’exercice car ils s’ajoutent aux paramètres déjà existant dans le cinéma mettant en scène de véritables acteurs : taille de plan, mouvements de caméra, déplacement des personnages, axes de prise de vue, montage, traitement du son… Ce dernier élément est souvent oublié.

C’est vrai que par définition le son ne se voit pas et c’est justement pour cela qu’il joue un rôle déterminant au cinéma. Il agit souvent de façon beaucoup plus subtile que l’image en structurant un film, en caractérisant des personnages, en complétant des décors, etc … Ainsi, invitons les élèves à regarder mais aussi à tendre l’oreille.

  • Initiation à l’analyse de film en 3 étapes
  • Formuler sa réception du film, son ressenti (Dans ce film on dirait que …, On a l’impression que…) afin de dégager des pistes de travail.
  • Se questionner sur les moyens mis en œuvre pour produire l’effet repéré. Autrement dit, dégager les notions de fond et de forme (choix de réalisation : cadre fixe, changement de rythme du montage…) afin d’examiner les rapports entre les elles.
  • Hiérarchiser les choix dans un texte rédigé.
  • Questions sur le chemin de l’analyse

Ce film paraît il long ou court ? Comment la réalisatrice parvient elle a impliquer le spectateur ?

A quoi ressemble la petite fille ? Quel âge a t elle ? Essayez de définir sa psychologie.

Sans la voix off, comprendrait on que les villageois s’habituent à la fillette ? Pourquoi ?

La mise en scène sème des indices à propos du dénouement du film : qu’est ce qui annonce l’envol et la transformation en oiseau ?

Le changement en oiseau ne paraît pas invraisemblable, pourquoi ? Que symbolise cette transformation ? Quelle est votre lecture du film ? De quoi vous parle t il ?

Comment se termine le film ?

Cécile Paturel, le 25 aût 2008

Expériences

  • Métamorphose et adolescence.

Si l’arrêt caméra est un des premiers effets spéciaux permettant la transformation (la légende veut que la manivelle de la caméra des les frères Lumière se soit enrayée pendant qu’ils filmaient une scène de rue. Quelques minutes plus tard, une fois le problème résolu, ils se remirent à tourner le film interrompu sans que la caméra n’ait bougé d’un pouce. Lors de la projection, l’omnibus qui passait à l’écran fut comme par magie remplacée par un corbillard, qui avait pris la place de l’omnibus dans l’intervalle) d’énormes progrès techniques ont été réalisés en la matière par des cinéastes très stimulés par un thème hérité de la littérature fantastique, celui de la métamorphose (Frankenstein, Docteur Jekill et Mister Hide…). La mise en scène d’un moment magique, le passage d’un corps à un autre constitue bien sûr un passionnant terrain d’expérimentation visuelle et trouve son équivalent réaliste dans une période de la vie : l’adolescence. En effet, cette phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte produit les changements physiques les plus spectaculaires et s’accompagne de bouleversements psychiques et identitaires … Voici donc une véritable mine pour le cinéma qui trouve dans l’adolescence un excellent ancrage scénaristique. Des histoires comme celle de Spiderman, Hulk ou encore du Loup garou mettent en scène de jeunes hommes dont la métamorphose évoque la puberté : développement du système pileux, vêtements qui se déchirent sous la pression musculaire, mue de la peau …

Sans être jamais explicite à ce sujet, le court-métrage de Régina Pessoa peut être bien sûr considéré comme un film sur l’adolescence. La problématique du corps est au cœur du récit : il s’agit de faire accepter son corps aux autres et de l’apprivoiser soi même. La narratrice parle d’une « petite fille » mais nous dit qu’elle « commençait même à aimer son corps » alors qu’on voit sa poitrine naissante sous la douche. L’esthétique générale du film lié à son graphisme, son aspect vivant (voir développement ci-dessus) renforce encore cette idée.

Mais contrairement aux films précédemment cités, la métamorphose ne fait pas basculer le personnage du côté obscur. Le personnage de Régina Pessoa ne devient pas monstrueux, bien au contraire. Comme l’ont annoncés les travellings verticaux, c’est en oiseau, symbole de légèreté et de la liberté, qu’elle se change. Alors que le cinéma d’animation regorge de scènes de métamorphoses (c’est un exercice simple a réaliser et qui produit un bel effet visuel), la réalisatrice ne s’attarde pas sur la transformation de la fillette. Sans spectaculaire, elle montre sobrement le personnage prenant son envol, de dos en plan fixe.

Outils

Bibliographie

Cotte Olivier, Les oscars du film d'animation, secrets de fabrication de 13 courts-métrages récompensés à Hollywood, Editions Eyrolles, Paris 2006
Denis Sébastien, Le cinéma d’animation, Editions Armand Colin, Paris 2007

Web

Visionner Histoire tragique avec fin heureuse sur arte tv
Association française du cinéma d’animation (afca) http://www.afca.asso.fr/

DVD

En matière d’animation, collection Cour(t)s de cinéma : présente les 6 films du programme, leurs analyses, un entretien avec la réalisatrice et une démonstration de sa technique graphique.