Chez Madame Poule

Canada (2006)

Genre : Conte

Écriture cinématographique : Court-métrage

École et cinéma 2009-2010

Synopsis

Pauvre Madame Poule ! Son aîné de poulet n’en fait qu’à sa tête… Il lève même le nez sur les plats qu’elle lui prépare. Jusqu’au jour où elle en a assez !

Générique

Durée : 7’52’’
Production : ONF Canada
Distribution : Folimage
Dessins et coloration sur papier

Autour du film

Un univers restreint

L’univers de la famille de Madame Poule est complètement cloisonné. Lorsque l’on voit la maison de l’extérieur, elle est isolée. Elle est petite et juchée en haut d’une butte. Il n’y a qu’elle. C’est comme s’il n’y avait rien autour, pas d’autre vie. La famille ne se rend à l’extérieur qu’en cas d’obligation. Durant la première partie du film, l’extérieur paraît effrayant pour les enfants. Être dehors est considéré comme une punition. C’est l’impression que donne la scène durant laquelle Madame Poule met son fils dehors. Au lieu de respirer et se défouler dans le jardin, le petit semble étouffer. Il ne supporte pas d’être à l’extérieur plus d’une minute. C’est une habitude et leur mode de vie de rester à la maison et de vivre replié sur eux-mêmes.

Des territoires délimités

La cuisine

Nous ne voyons que deux pièces de la maison : la cuisine et le salon. Ces deux espaces sont représentés comme des territoires privés. Deux pièces quasiment toujours filmées de la même façon. Le filmage est statique (la caméra ne bouge jamais), ce qui amplifie la notion d’enfermement. La maison est leur univers.
La cuisine est dirigée par la mère Poule. Ella a une maîtrise totale de ce lieu. Elle passe d’un élément à l’autre machinalement. Cet espace est filmé dans son ensemble, en plan large. Ce qui nous permet de voir naviguer la poule de l’évier à la poubelle, etc. Elle remplie l’espace grâce à ses déplacements.

Le salon

Lorsqu’elle pénètre dans le salon, le cadrage change. Nous n’apercevons que des parcelles de celui-ci. Le cadrage se concentre sur des éléments précis. Nous découvrons le salon lorsqu’elle va y passer l’aspirateur. Il y a une vraie rupture. Le cadrage se focalise sur son fils aîné. Il est assis par terre devant la télé. Nous sommes à sa hauteur. Nous ne voyons que le bas du corps de sa mère avec l’aspirateur. Ce plan peut signifier que la mère est invisible pour son fils. Il est complètement hypnotisé par son jeu. De plus, il n’entend même pas qu’elle nettoie la pièce. La musique stridente du jeu vidéo étouffe totalement le son de l’aspirateur. Nous sommes dans l’univers du jeune poulet. Univers impénétrable, dans lequel sa mère n’existe pas.

Le fils est le maître des lieux. Nous nous en rendons compte une nouvelle fois dans la séquence précédant le moment où la mère sort à l’extérieur de la maison. Elle va dans le salon, et contemple la pièce. Encore une fois, nous ne la voyons pas dans son ensemble. La réalisatrice nous montre ce que voit la mère Poule. Une lampe avec des chaussettes dessus, un fauteuil sur lequel traîne une assiette avec de la nourriture renversée, etc. Ces éléments sont montrés en gros plans. L’enchaînement est brutal entre chaque plan (nous passons d’un élément à un autre sans transition). Cette focalisation sur des détails, et le montage « haché » créent une impression d’accumulation. La réalisatrice, grâce à l’emploi de la caméra subjective (nous voyons ce que la poule voit), nous permet de partager la saturation de la mère. Ses efforts sont vains, son fils garde l’emprise sur le salon.

Une frontière invisible

Il n’y a pas de porte entre les deux pièces, juste un point de passage. Cependant, nous ressentons une réelle séparation grâce au travail du son. Notamment au début du film. La mère poule passe l’aspirateur dans le salon. La musique du jeu vidéo occupe tout l’espace sonore. Quand elle a terminé, nous nous retrouvons, sans transition, à nouveau dans la cuisine. Nous n’entendons plus la musique. Pourtant, nous ne sommes qu’à quelques mètres de l’autre pièce, et comme il l’a été précisé, il n’y a pas de porte ! Cette rupture sonore crée une frontière presque irréelle entre deux mondes distincts. Une délimitation qui est donc surtout psychologique.

Occupation progressive de l’espace de l’autre

Quand la mère poule appelle l’aîné pour manger, elle ne franchit pas le seuil du salon. Elle se met vers le passage et caquette. Nous voyons la réaction de son fils qui tourne la tête, émergeant ainsi de son jeu vidéo. Il finira par arriver dans la cuisine.

Au fur et à mesure que les journées passent, le poulet va se montrer de plus en plus pressant pour manger. Il se retrouve dans la cuisine de plus en plus tôt. Son agressivité augmente. Pour la deuxième scène de repas, nous retrouvons la mère quasiment dans la même posture que la veille. Le plan est presque identique à celui de sa première préparation de repas. Les gestes aussi se répètent. Cette fois ci la mère n’a pas besoins d’appeler l’aîné, il arrive précipitamment et apparemment énervé.

Lors du troisième repas, le cadre change. Il se focalise sur une boîte de maïs que la mère est en train d’ouvrir. Ce cadre plus serré sert à créer la surprise. Il précède le plan d’ensemble habituel de la cuisine. Lorsque l’échelle du cadrage change, nous nous apercevons que l’aîné se trouve déjà dans la cuisine ! Information qui nous était masquée par le gros plan sur la boîte de conserve.

Duels et soleil

Les scènes de repas sont de plus en plus brèves. Du fait que le fils arrive de plus en plus tôt, le repas se fait dans la précipitation (d’où la boîte de maïs lors du troisième repas). Aucun repas ne se passe tranquillement. Chaque tentative de la mère se solde par un échec. Le repas, d’ailleurs, n’en est pas vraiment un. C’est davantage un moment d’offrande au fils aîné qu’un repas familial. Il est le seul à être servi.
Il est de plus en plus désagréable envers sa mère. Durant le premier repas, il goûte, mais finit par retrouver sa télé en râlant. Lors du deuxième, il ne picore qu’une fois et quitte la cuisine en caquetant encore de dépit. Pour le troisième, il ne goûte même pas et piétine sa nourriture par provocation.

Chaque scène de repas est suivie d’un plan sur l’extérieur de la maison. Nous voyons le soleil qui se couche et se relève instantanément derrière la colline. Ce mouvement du soleil est signifié par un bruitage qui fait penser à celui d’un grille-pain. Le soleil jaillit tel un toast. Il n’y a pas de nuit, donc pas de repos. Le jour revient trop vite, et les tensions aussi. Ce soleil qui arrive au zénith peut représenter l’ « heure H » du duel. On retrouve ce rapport au temps dans des films comme Règlement de comptes à O.K. Corral (1957) de John Sturges et surtout Le Train sifflera trois fois (1952) de Fred Zinnemann (le duel est également fixé à midi, le titre original « High Noon » renvoie à l’importance de cette heure, « plein midi »). C’est un moment de transition entre chaque duel. Duels de plus en plus rapprochés, les scènes de repas étant de plus en plus courtes.

La répétition et la tension progressive générées par la mise en scène font de ce rendez-vous du midi un vrai duel. La musique participe à cette ambiance propre au western. La réalisatrice utilise une musique country (banjo et violon) qui interpelle par rapport au sujet de l’histoire. La musique joue sur la répétition. Elle intervient chaque fois que la mère prépare à manger, et s’arrête brutalement lorsque le poulet va goûter la nourriture. Utilisation qui crée du suspens. Cette musique permet aussi de signifier la répétition des mêmes situations. Elle s’oppose également à celle du jeu vidéo, beaucoup plus agressive (opposition country et hard rock).

Vidéos

Chez Madame Poule

Catégorie :

Une levée de rideau

La petite scène d’introduction au film, présente d’emblée la situation au spectateur. Cette séquence insiste déjà sur le dévouement de la mère poule à ses tâches ménagères. La mère poule fait son entrée par la gauche du cadre. Elle passe la serpillière. Un petit poulet la suit. Elle semble mettre toute son énergie dans ce qu’elle fait. Elle disparaît alors sur la droite du cadre. Elle ne fait que passer, toujours en mouvement. Le poulet, lui, reste quelques secondes à regarder dans la direction de la caméra. La mère ressurgit de la droite du cadre avec un énorme panier de linge au-dessus de la tête. Elle effectue le trajet inverse. Elle va vers la gauche. Le poulet la suit à nouveau.

Cette courte scène a une dimension théâtrale. Le cadre se sépare horizontalement en deux zones distinctes : le parquet marron/clair et le mur blanc. Les planches du parquet peuvent nous rappeler une scène de théâtre. Le décor minimaliste nous permet de nous focaliser uniquement sur les personnages et leurs actions. La séquence commence par un plan fixe sur la « scène ». Les personnages font leur entrée sur la gauche du cadre après quelques secondes. La mère apparaît et disparaît comme dans un vaudeville. Le petit poulet qui la suit nous prend à témoin en nous regardant. D’emblée le spectateur se fait une idée précise de la vie de Madame Poule. Elle enchaîne les taches ménagères et subit le harcèlement de ses enfants. En l’occurrence dans cette scène, nous n’en voyons qu’un. Après la vision du court-métrage dans son intégralité, nous pouvons déduire que l’ouverture annonce déjà la présence excessive du petit poulet et l’absence de l’ainé qui ignore sa mère. Le petit la suit sans véritable raison. Il est dans ses pattes et ne fait rien pour l’aider.

Nous sommes d’emblée dans le comique de répétition propre au théâtre ou au cinéma burlesques. Un style qui joue beaucoup sur les ruptures de rythme. Une action des personnages donne lieu à un moment d’attente d’une réaction. Une réaction qui entraîne à nouveau une action. C’est comme une boucle qui se répète. C’est grâce au moment durant lequel il ne se passe rien (en l’occurrence le moment où le poulet reste fixe à regarder le spectateur), que se créé une attente qui va permettre à l’action suivante d’être comique. En effet, nous nous demandons ce qu’attend le poulet. Il attend juste que sa mère repasse par là. Il sait qu’elle va revenir. Ce moment de « vide » dans l’action accentue l’aspect répétitif des choses. Nous retrouverons ces moments d’attente, comme en suspend, chaque fois que la mère poule guettera la réaction de l’aîné face au repas qu’elle lui a préparé. La musique marque aussi l’aspect cyclique de la narration.

Les regards en direction du spectateur se répèteront aussi. Ils permettent d’inclure le spectateur dans l’action. Celui-ci a un rôle. Il est le témoin attitré des tensions qui animent l’univers de Madame Poule.

Pistes de travail

Mise en relation avec plusieurs scènes de films burlesques

• Avec presque tous les films de Laurel et Hardy (par exemple Les Ramoneurs (Dirty Work-1933) dont une séquence est facilement trouvable sur Youtube). Oliver Hardy prend quasiment tout le temps le public en témoin lorsque Stan Laurel a ou va faire une bêtise. Comme dans Chez madame Poule, il y a souvent des regards caméra. Essayez de voir qu’est ce que ces regards aux spectateurs peuvent apporter aux films. Quelle place est donnée au spectateur ?

• Avec les films de Charlie Chaplin comme The Kid, La Ruée vers l’or ou Les Temps modernes. Dans chacun de ces films il y a une scène de préparation de repas. Généralement avec quasiment rien comme nourriture. Essayez de comparer la mise en scène de ces moments. Surtout du point de vue des déplacements des corps. Les mouvements de Charlie Chaplin et de la Poule sont similaires à ceux d’automates. Comparez le déplacement de Charlot et des poules. Il y a un systématisme, une manière d’être particulière.

Qu’est-ce qu’apportent les bruitages (le caquètement synchrone avec le déplacement des poules) dans le court-métrage de Tali ?

Mise en relation avec des dessins animés de Tex Avery

• En ce qui concerne la mise en scène de la répétition d’une même situation, vous pouvez vous servir du dessin animé de Tex Avery, Rock a bye a bear de 1952 (facilement trouvable sur Youtube). Spike le chien doit garder la maison d’un ours qui souhaite hiberner pendant l’hiver. Un autre chien, jaloux de ne pas avoir été choisi pour cette tâche, décide de venir troubler le gardien. L’ours souhaite un silence absolu. Il ne tolère pas le moindre bruit de pas. Il a un sommeil très sensible. Le petit chien va donc tout faire pour que Spike fasse du bruit, n’hésitant pas à lui faire subir toutes les pires souffrances corporelles. Après chaque coup, brûlure, pincement, etc, le gros chien sort en trombe de la maison et se réfugie sur une colline en face pour hurler (chaque fois d’une façon adéquate avec ce qu’il a subi). Le spectateur assiste à la même course huit fois. Une analyse sonore peut être réalisée. En effet, le même bruitage est utilisé pour symboliser la vitesse du chien (des notes aigues jouées au xylophone). Qu’est-ce que cela provoque ? Cette fuite de Spike est toujours filmée de la même manière. Le même cadre le même mouvement de caméra chaque fois.

• Nous pouvons aussi prendre comme point de départ le court-métrage Droopy fin limier (Dumb Hounded – 1942-). Dans ce dessin animé, Droopy pourchasse le loup qui s’est évadé de la prison Sing Sing. Qu’importes les multiples endroits de la planète où le loup s’enfui, le petit chien le précède toujours. Malgré les multiples moyens de transports utilisés par le fuyard, Droopy, reste toujours dans ses pattes. A partir de cet exemple, on peut essayer de faire deviner de quel poulet Droopy se rapproche-t-il le plus. Pourquoi ? Ainsi, vous pouvez faire remarquer l’opposition entre les deux enfants de la mère Poule. En effet, le plus petit colle systématiquement sa mère. L’aîné au contraire l’ignore.
Cependant, elle s’occupe d’avantage de l’adolescent. Quels gestes nous montrent que c’est lui qui est au cœur des préoccupations de Madame Poule ?

Comparaison avec une peinture

Quelle est la forme que l’on retrouve le plus dans le film ? Pourquoi ? (4 formes ovales : la poule (son tablier), le poulet, la porte et la fenêtre). Tous les éléments du décor sont un peu arrondis.
Essayez de faire comparer le physique de la mère poule avec le tableau surréaliste de Max Ernst, Ubu Imperator (1923). Les deux personnages ont un corps apparemment fort et solide. Mais cette puissance apparente est contrebalancée par le bas de leur corps. On peut penser qu’un rien peut les faire s’écrouler. Qu’est-ce que ce physique, cette stature peut induire concernant la vie de la poule ? Elle est un peu tel le colosse aux pieds d’argile.

Quelques questions

• Comment la réalisatrice fait-elle sentir au spectateur que la mère s’occupe de sa maison régulièrement ?
• Quand est-ce que l’aîné se sert-il de ses ailes ? Qu’arrive-t-il à faire avec ? Peut-être que la réponse à cette question peut aider à comprendre en partie pourquoi la réalisatrice met en scène des poules. Pourquoi des poules pour représenter la vie courante d’une ménagère ?
• Quelle est la forme qui revient le plus ? (oval) repérer tout ce qui est comme ça. Arrondi. Pourquoi cette forme ?
• A quoi fait penser le mouvement et le bruitage du soleil ? On peut penser au bruit d’un grille pain signifiant que le toast est près et donc que le repas va commencer. Le grille pain peut-être lié à l’univers de la cuisine et donc du repas. On peut aussi penser au bruit d’une caisse enregistreuse : les jours s’accumulent pour la mère Poule et les frustrations aussi.
• Pourquoi l’œuf se brise-t-il au dessus de la tête de la mère ? Qu’est-ce que ça symbolise ?
• Vous pouvez faire un tableau en interrogeant les élèves sur toutes les choses qui se répètent.

Cynthia Labat – juin 2009 –