Bêtes du sud sauvage (Les)

États-Unis (2012)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Collège au cinéma 2017-2018

Synopsis

Hushpuppy, une jeune fille de six ans, vit dans le bayou de Louisiane avec son père au milieu de la mangrove, dans une cabane délabrée et miséreuse avec d’autres abandonnés de la société américaine. Un jour, une violente tempête provoque la montée des eaux, mettant en péril leurs vies déjà fort précaires. Les changements climatiques ont libéré des aurochs — auparavant prisonniers des glaces polaires — qui migrent jusqu’en Louisiane. Le père de Hushpuppy, alcoolique, violent et déboussolé, voit sa santé décliner, mais refuse, avec ses semblables, l’aide humanitaire. L’enfant, à la recherche de sa mère disparue, croit en voir les signes dans le clignotement d’un phare au large de la côte. Elle mène, grâce à une force de caractère instillée par l’éducation à la dure de son père, un combat quotidien de survie et de débrouillardise, mais cherche aussi des réponses affectives auprès de personnes rencontrées au gré de son errance.

Distribution

Quvenzhané Wallis : Hushpuppy Doucet
Dwight Henry (en) : Wink Doucet, le père de Hushpuppy
Levy Easterly : Jean Battiste
Lowell Landes : Walrus
Pamela Harper : Little Jo
Gina Montana : Miss Bathsheeba
Henry D. Coleman : Peter T

Générique

Titre original : Beasts of the Southern Wild
Titre français : Les Bêtes du sud sauvage
Réalisation : Benh Zeitlin
Scénario : Lucy Alibar et Benh Zeitlin, d’après la pièce Juicy and Delicious de Lucy Alibar
Direction artistique : Alex DiGerlando
Décors : Dawn Masi
Costumes : Stephani Lewis
Photographie : Ben Richardson
Son : Bob Edwards
Montage : Crockett Doob et Affonso Gonçalves
Musique : Dan Romer (en) et Benh Zeitlin
Production : Michael Gottwald, Dan Janvey et Josh Penn
Durée : 1h32

Autour du film

Hushpuppy est seule. Dans sa maison de bric et de broc, où elle conserve toutes sortes de reliques qui lui rappellent sa mère décédée, elle fait cuire du ragoût dans une casserole. Elle n’a que 6 ou 7 ans mais,
au beau milieu du bayou de Louisiane où elle vit avec son père et une communauté de reclus refusant de céder aux menaces d’expulsion, elle a dû apprendre à se débrouiller.

Elle est seule, donc, et après que son père l’a engueulée, elle décide d’ignorer la menaçante fumée qui sort de sa marmite en surchauffe ; mieux, elle attise le feu, par colère, par dépit, par défi aussi sans doute, sans se rendre compte de ce que son geste va provoquer.

Et tandis que son taudis s’enflamme, elle trouve refuge sous un carton, d’où elle dessine, avec un bout de charbon, son histoire, “pour que dans un million d’années, les scientifiques puissent la retrouver et la raconter aux enfants”.

Un carton contre les flammes, du charbon contre l’oubli : voilà exactement le genre d’équations sur lesquelles repose Les Bêtes du Sud sauvage, premier long métrage exaltant de Benh Zeitlin, un jeune homme de 30 ans auréolé du grand prix à Sundance et de la Caméra d’or à Cannes.

Cette scène, située tôt dans le film, le résume parfaitement, en ce qu’elle pose la subjectivité du regard de son héroïne, gamine rêveuse et revêche (miraculeuse Quvenzhané Wallis), comme instance de résistance face à la fin du monde – la fin d’un monde, du moins.

C’est une maison en tôle qui part en fumée, c’est un marais qu’une tempête noie sous les eaux, c’est une ville que l’explosion d’une digue livre aux inondations (La Nouvelle-Orléans, bien qu’elle ne soit jamais citée), c’est la mort de parents qui signe, trop tôt, la fin de l’enfance, mais c’est, au fond, toujours la même question : le crépuscule approche, que nous reste-t-il ? Et, surtout, sur quelles bases tout reconstruire ?

Nous avons cité cette scène particulière comme idéale métonymie, mais presque toutes auraient convenu tant Les Bêtes du Sud sauvage fonctionne sur un principe organique. Comme si chaque élément du film, plutôt que de faire avancer une intrigue réduite à peau de chagrin, participait d’un grand tout atmosphérique et labile, un bouillon primitif à partir duquel recomposer l’ensemble du puzzle.

On reconnaît là la manière de Terrence Malick (lyrisme, voix off, Nature
& Découvertes) sous laquelle il s’agirait cependant de ne pas ensevelir trop vite le jeune cinéaste, qu’autant de choses séparent du maître qu’elles ne l’en rapprochent. Moins élégiaque et mélancolique que son aîné (moins
virtuose aussi, bien sûr, mais comment le lui reprocher ?), Zeitlin est en revanche plus turbulent et bricoleur.

Plus documentaire, aussi. Produit en indépendant à La Nouvelle-Orléans, où le New-Yorkais d’origine a posé ses valises après Katrina – suivant l’actuel tropisme sudiste du jeune cinéma américain, par exemple David Gordon Green (George Washington), Jeff Nichols (Take Shelter, Mud) ou Debra Granik (Winter’s Bone) –, Les Bêtes du Sud sauvage réussit à faire beaucoup avec très peu.

À l’image de ses pouilleux sublimes, qui existent et vivent, à peu de choses près, dans les conditions dévoilées
par le film. À partir d’une réalité sociale d’extrême pauvreté, Zeitlin crée un univers cinématographique riche, à base de pellicule super-16, d’accessoires de brocanteur et d’effets spéciaux d’étudiant malicieux (les aurochs, sidérante réussite visuelle avec trois cochons, deux maquettes et quelques paillasses).

Et s’il cède parfois un peu facilement aux vertiges de l’entropie, avec sa caméra tremblante et son montage sur les rythmes entraînants de la musique, il manifeste une fougue trop rare pour ne pas être célébrée.

Plier le monde à ses désirs, l’image à son imaginaire : c’est peut-être cela la meilleure chose qui reste au cinéma devant le spectacle d’un monde agonisant. Ne pas céder à la melancholia (c’est trop tard), ignorer les flammes, les ouragans, les hélicoptères, les troupeaux d’aurochs vengeurs, et se tenir debout, coûte que coûte : avec un tel programme, Hushpuppy ne restera pas longtemps seule.

Par Francine Gorman & Ondine Benetier, Les Inrocks
www.lesinrocks.com

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