Abouna (Notre Père)

Tchad (2003)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Collège au cinéma 2008-2009

Synopsis

Le père d’Amine et Tahir, huit et quinze ans, a quitté le domicile familial. Les deux frères décident alors de partir à sa recherche. Profondément choqués par cette brusque disparition, ils se mettent à traîner, à faire l’école buissonnière et à fréquenter les salles de cinéma. C’est là, qu’un jour, ils leur semblent reconnaître leur père à l’écran. Ils volent les bobines pour garder un souvenir de leur père, mais la police ne tarde pas à les arrêter. Lasse de leur conduite, leur mère les envoie dans une école coranique.

Distribution

Tahir / Ahidjo Mahamat Moussa
Amine / Hamza Moctar Aguid
la mère / Zara Haroun
la muette / Mounira Khalil
le père / Koulsy Lamko
le marabout / Garba Issa

Générique

Réalisation : Mahamat Saleh Haroun
Scénario : Mahamat Saleh Harou
Image : Abraham Hailé Biru
Musique : Diego Mouspha Ngarade
Montage : Sarah Taouss Matton
Décor : Laurent Cavero
Son : Marc Bouyrigat
Production : Duo films
Distribution : MK2
Format : Couleurs – 35 mm
Durée : 1 h 21

Autour du film

  • Récit initiatique et mise en scène contemplative

Avant la séquence du vol des bobines, on voit les personnages passer devant des affiches de films. Stranger than paradise, de Jim Jarmusch, The Kid, de Charlie Chaplin, et Yaaba, de Idrissa Ouedraogo sont des films au style très différent mais qui ont en commun leurs personnages : enfants et adolescents abandonnés ou sans repère.

En choisissant de placer ces éléments dans le décor, le réalisateur affirme bien sa volonté de traiter d’une période de la vie où l’homme se cherche encore, se construit. Abouna est donc un récit initiatique : il montre le parcours d’un jeune garçon qui va grandir, passer de l’adolescence à l’âge adulte, après avoir triomphé des épreuves de la vie. L’abandon du père, l’arrestation par la police, le placement en pension, la mort du petit frère : ces événements déterminants ne sont cependant pas ou peu montrés par le réalisateur. Par exemple, la mort du petit frère est induite par le lent travelling arrière après sa crise d’asthme : la caméra quitte lentement l’enfant dans la chambre. Symboliquement, ce mouvement peut évoquer l’âme du garçon qui se retire du monde des vivants. C’est le plan suivant qui confirmera l’événement en nous montrant l’enterrement. Entre les deux plans, plusieurs jours ont pu passer. On ne nous montre pas de tentatives pour le sauver, ni le chagrin immédiat du grand frère, ni le corps sans vie de Amine. Plutôt que de montrer les personnages en action, le réalisateur préfère s’attarder sur les affects.

De la même façon, la rencontre avec la jeune fille muette au bord du lac est traitée en deux plans. Le premier nous montre Tahir sourire. Le second, un contre champ, nous offre la réponse souriante de jeune fille. On retrouve Tahir sautant de joie dans les rues du village dans la séquence suivante. Que s’est il passé entre temps ? Nous n’avons pas de réponse à cette question posée hors champ par Amine. A nous d’imaginer ce que le contexte nous permet.

  • Un film pictural

Si plusieurs moments sont ellipsés, on remarque aussi que le réalisateur aime faire durer les plans : des mouvements de caméra (travelling et panoramiques) permettent d’accompagner les personnages sans découper leurs actions en plusieurs plans (à réunir au montage). Ainsi, à 56 minutes, après la bagarre entre les deux frères, la réconciliation va être filmée en un seul plan de deux minutes : un panoramique épouse les déplacements d’Amine qui s’effectuent en trois temps (arrivée, consolation sur le rebord d’une fenêtre, départ à deux dans la profondeur).

Chez Mahamat Saleh Haroun le plan est roi. Son cinéma ne se créé pas dans la relation entre les plans le montage mais dans l’attention portée aux composantes du plan.

La rencontre avec la jeune fille muette est une séquence emblématique de ce choix (à 41 minutes). Là où d’autres réalisateurs auraient multiplié les plans sur les visages pour traduire le coup de foudre, Mahamat Saleh Haroun choisit de travailler sur l’image. C’est avec un ralenti qu’il magnifie la jeune fille qui s’éloigne dans un plan subjectif d’un Tahir ébloui.

  • Les couleurs

Comme un peintre, Mahamat Saleh Haroun aime la composition et la belle image. Un soin particulier a été apporté au traitement des couleurs. Au visionnage du film, on peut s’étonner de voir que certains personnages gardent la même chemise pendant toute la durée de l’histoire qui s’étale sur plusieurs semaines, voir plusieurs mois. Tahir et Amine sont respectivement habillés de bleu (symbole de constance et de sérénité) et de orange (ardeur, vivacité), deux couleurs complémentaires, tandis que la jeune fille muette resplendit comme un soleil dans sa robe d’un doré éclatant. Le réalisateur n’hésite pas à prendre quelques distances avec la vraisemblance des situations pour composer une fresque aux couleurs harmonieuses. Lorsque les garçons attendent encore le père de Tahir pour jouer au foot (à 5 minutes 42), le fond ocre du mur, l’angle de prise de vue frontal, les couleurs de leurs chemise, les peaux mordorées sont un pur délice pour les yeux. Le traitement de la lumière procède de la même démarche et participe à la création d’un véritable plaisir visuel : pendant les scènes de nuit, l’ombre des volets projette six rectangles bleus lumineux sur le mur de la chambre, tandis que les visages des deux frères pendant leurs discussions nocturnes à l’école coranique sont joliment modelés par un clair-obscur.

  • le cadrage

Le réalisateur s’affranchit du cadre rectangulaire du cinéma en proposant de nombreux surcadrages, c’est-à-dire en recréant un cadre dans le cadre du film. Les fenêtres, les portes, les lignes verticales du décor deviennent les nouveaux cadres de base de l’organisation des plans. A 35 minutes ou à 21 minutes du film par exemple, le chef opérateur (la personne responsable de la prise de vue et de la qualité photographique de l’image et qui compose la lumière délimite un nouveau cadre en créant de très beaux contre-jours.

Cécile Paturel, le 3 juillet 2008

Vidéos

Abouna (Notre Père)

Catégorie :

Chapitre 7, de 53’27 à  54’35 : le poster

Dans cette séquence, le désir des deux garçons se concrétise et prend vie à  l’écran sous la forme d’une projection. Tahir et Amine font une expérience cinématographique.

Dans le premier plan, Tahir et Amine sont représentés de dos, en spectateurs du poster offert par leur père. Le plan suivant les montre en plan serré : ils sourient en regardant le poster situé maintenant hors champ|75 tandis que la bande son nous donne à  entendre le bruit des vagues. Le troisième plan est le contre-champ|31 du précédent (on nous montre ce que les personnages regardaient dans le 2e plan) mais cette fois ci, le poster est montré en plein écran : on ne voit plus le cadre qui le délimitait tout à  l’heure. Nous avons donc l’impression que les garçons partagent physiquement cet espace de bord de mer, d’autant plus que nous sommes passés du plan 2 au plan 3 grâce à  un raccord son : le bruit de la mer.

Le cri des mouettes et du ressac des vagues sont maintenant au premier plan sonore alors que la caméra zoome|166 lentement sur l’image. Ce mouvement de caméra est très parlant : zoomer (= travelling optique), c’est rapprocher un objet sans avoir à  bouger de sa place, sans en approcher la caméra. Ainsi, ce zoom figure le désir. Il est la traduction cinématographique du désir des deux enfants d’entrer dans l’univers de leur père, de pénétrer l’écran où il est enfermé (cf. la séance de cinéma où leur père apparaît à  l’écran, et semble s’adresser à  eux quand, regardant la caméra, il dit :  » bonjour les enfants, ça va ? « ). Un fondu enchaîné réalise brièvement ce désir : la photographie s’anime, les vagues bougent un court instant avant de se figer sous la main qui tente de vérifier sa matérialité. Mais, pure projection, l’image de cinéma reste impalpable.

Pistes de travail

  • Repérer les nombreuses ellipses du récit (la bagarre entre Amine et le camarade de l’école coranique, l’arrestation par la police…)
  • La pudeur et distance : les personnages sont filmés à plusieurs reprises derrière des voilages, des rideaux, une moustiquaire ou bien encore, souvent au fond d’un plan large. L’échelle des plans détermine la distance entre la caméra et la personne filmée : plus la distance est grande, plus le plan est large. La raison de cette distance est peut être à chercher dans le rapport entre le réalisateur et ses acteurs : « je travaille avec des gens qui ont le désir, la passion de faire mais qui n’ont aucune technique ». Ce choix implique un rapport aux acteurs très différent d’avec de véritables professionnels. L’écart entre la caméra et les acteurs est probablement un écart soucieux du respect de ces non professionnels. Cette pudeur peut aussi expliquer certaines ellipses. A 1 heure et 11 minutes, on voit les visages de Tahir et de la jeune fille s’approcher très lentement l’un de l’autre sans que le plan montre la fin du geste.
  • Echos et correspondances : plusieurs séquences entrent en résonance. Relever les points communs et les différences entre la séquence du pré-générique (la fuite du père), la séance de cinéma, celle du poster et celle de la fuite de Tahir. En quoi cette mise en regard nous renseigne t elle sur les personnages ? Dans la première séquence par exemple, le père regarde droit dans l’objectif de la caméra avant de s’enfoncer dans la profondeur d’un plan d’ensemble. La valeur de ce plan, sa composition et sa durée trouvent une symétrie éloquente à 1 heure et 6 minutes du film lorsque Tahir prendra le large à son tour après la mort de son petit frère.
  • Relever le nombre de regard caméra dans le film. Qu’implique ce regard du personnage dans l’objectif ? Lorsqu’il était jeune, le réalisateur a été marqué durant une séance de cinéma par le regard caméra d’une très belle femme qui, à travers l’écran, semblait le regarder dans son fauteuil. C’est ce moment qui lui a donné envie de faire du cinéma.

Cécile Paturel, le 3 juillet 2008

Expériences

  • La fuite des maris : un fait de société

Il existe au Tchad un véritable attrait pour les pays voisins plus grands et plus riches. De nombreux hommes quittent femmes et enfants pour aller y tenter leur chance et quotidiennement, la radio diffuse des appels adressés à ces hommes sous forme d’ultimatum. En effet, après un certain temps sans réponse, le divorce peut être prononcé.

Ce sont ces communiqués entendus à la radio nationale qui ont interpellé le réalisateur et l’ont amené à considérer ce véritable fait de société. Cependant, le film suggère (le poster de la mer, évocation de Tanger) que le père des enfants a quitté le pays pour rejoindre la France. Cependant, ce ne sont pas les migrants qui ont intéressé Mahamat Saleh Haroun mais plutôt ceux qui restent. Leurs difficultés et leur capacité à se construire sans repère sont le cœur du film.

  • L’école coranique

L’école qui accueille les enfants est une école coranique. Si le filme ne traite pas de ce sujet, le réalisateur propose un point de vue critique sur ces structures, notamment lors de la séquence de la prière. Les enfants sont filmés en travelling et la bande son restitue leur prières comme un brouhaha incompréhensible. Mahamat Saleh Haroun explique le fonctionnement de ces écoles :

« Au Tchad, nous appelons madrasa l’école arabe (madrasa veut d’ailleurs dire  » école  » en arabe) et l’école coranique  » massik « , mais chez nous l’islam est relativement modéré. Le problème est plutôt que la plupart des enfants, ne parlant pas très bien l’arabe, ingurgitent des textes sans les comprendre. Ce sont souvent des enfants abandonnés ou comme Tahir et Amine amenés là par leur mère. L’idéal serait qu’ils arrivent à avoir une bonne éducation, apprennent le Coran et qui sait ! deviennent marabouts mais il n’y a pas de projet et la plupart d’entre eux ne termine jamais l’école. Comme ils ne vont pas à l’école française, exceptée pour la minorité qui devient marabout, ils doivent se débrouiller sans aucun bagage. Ce sont des enfants exploités par leurs maîtres au nom de l’islam. Ils doivent travailler pour eux et leur rapporter un peu d’argent en mendiant dans les rues. Les  » massik  » ne sont pas à proprement parlé des écoles islamistes bien qu’il y ait comme partout dans le monde, des islamistes à N’Djamena. Ce sont plutôt des maisons de correction d’où les enfants veulent s’échapper. Je me souviens être allé moi-même dans une école pareille, dans mon quartier, où j’étais externe. J’apprenais les rudiments de l’islam et à prier mais ceux, qui étaient pensionnaires sous l’emprise des marabouts, s’enfuyaient souvent. Lorsqu’on les ramenait, on les attachait. Je n’ai pas voulu dramatiser dans le film, mais ils avaient des chaînes comme des bagnards. Je me souviens qu’à l’époque, on allait aux toilettes faire ses besoins sous le regard du marabout. C’est incroyable mais c’était une organisation carcérale. »

Mahamat Saleh Haroun / La Tribune libre, le 16 mai 2002

Outils

DVD

Abouna, DVD libre de droits pour une projection en classe, ADAV, référence: 54665.
Ce DVD comporte:
- le film
- une bande-annonce en VOST
- une interview de Mahamat-Saleh Haroun (20 mn)
- le court métrage de Mahamat-Saleh Haroun sur le thème du sida : "L’essentiel" (10mn)
- une galerie photos du tournage
- une scène coupée

Internet

Sur le site Africultures:
Critique
Entretien avec Mahamat Saleh Haroun
Entretiens avec le réalisateur:
Site Africiné
Site Afrik.comFiche ABC Le France - Extraits de critiques et entretien (document PDF téléchargeable)

Ouvrages

Le cinéma africain : un continent à la recherche de son propre regard, par Elisabeth Lequeret, Paris, CNDP, Cahiers du cinéma, 2003
Les cinémas d'Afrique noire : le regard en question, par Olivier Barlet, ParisMontréal : Éd. l'Harmattan, 1996

Revues

Africultures n°45, Cinéma : l'exception africaine, Africultures Association, L'Harmattan, février 2002
Cahiers du Cinéma n°569
Positif n°497/498