TAKAHATA Isao

Directeur artistique, Directeur d'animation, Producteur, Réalisateur, Scénariste

Biographie

A  soixante-dix ans, dont plus de quarante de carrière cinématographique, Takahata Isao est l’instigateur essentiel de ce que le dessin animé a produit au Japon de plus novateur, et souvent de plus noble, des années 1960 à  nos jours. Ses réalisations ont marqué une à  une l’histoire de ce registre, dont elles n’ont cessé de repousser l’horizon créatif. Takahata appara’eet aujourd’hui comme le créateur d’une œuvre singulière, exigeante, souvent téméraire et pourtant de plus en plus aboutie. Il est l’un des rares réalisateurs d’animation au monde à  avoir su mener, dans un cadre commercial, un incontestable itinéraire d’auteur. Dans le même temps, toute sa carrière est inspirée par un même esprit, une idée d’exigence partagée, de compagnonnage artisanal avec un grand nombre de proches collaborateurs, comme autant de relations de complémentarité et de camaraderie créative. Ces deux versants de son travail se rejoignent dans une même éthique qui désigne Takahata comme un cinéaste de la dignité humaine. Figure à  la stature intellectuelle établie, cultivant une curiosité encyclopédique, Takahata est cinéaste d’animation par conviction foncière : il n’est pas dessinateur d’animation, et son travail graphique se limite aux croquis explicatifs des stades préparatoires, et à  l’établissement de la continuité graphique (story-board). Son itinéraire créatif est tout entier orienté vers une recherche passionnée : « l’invention du réel » en animation. Loin de toute évasion vers des univers chimériques, le cinéma de Takahata rend compte de la réalité humaine de son pays dans ses dimensions les plus intimes.

L’une des premières étapes décisives de cet itinéraire est la rencontre avec l’œuvre de Jacques Prévert, que Takahata découvre dans le cadre de ses études de littérature française à  l’Université de Tôkyô. La poésie de Prévert exerce sur lui un attrait décisif, au point qu’il la traduira par la suite. Mais l’homme de cinéma le passionne tout autant. Au studio d’animation de Tôei, où Takahata est entré en 1959 en tant qu’assistant-metteur en scène, La Bergère et le ramoneur, le chef-d’œuvre mutilé de Prévert et Grimault, exerce une fascination particulière sur toute une génération de talents : parmi eux les animateurs ‘d4tsuka Yasuo, Kotabe Yôichi, Miyazaki Hayao qui deviendront pour Takahata d’indéfectibles compagnons de route. La Bergère et le ramoneur s’impose d’évidence à  leurs yeux comme le modèle d’une alternative à  la production disneyenne. Loin des standards américains, une autre idée de l’animation est possible par laquelle s’expriment une sensibilité originale et une autre conception du mouvement. Pour Takahata en particulier, le film de Grimault et Prévert est un premier jalon dans la quête d’un réalisme propre au dessin animé. Ce qu’il retient du film, avant sa dimension onirique – qui marquera notablement l’imaginaire de Miyazaki – , c’est sa vision sociale et son ancrage dans une réalité culturelle définie. Encouragés par l’exemple français dans leur recherche d’une personnalité artistique, ‘d4tsuka, Takahata, Kotabe et Miyazaki vont, en quelques années, amener à  maturité une véritable école du mouvement qui s’oppose fondamentalement aux tendances minimalistes développées à  partir de 1963 par nombre de studios japonais pour répondre aux cadences exigées par la télévision. Horus, prince du soleil (1968), premier long-métrage réalisé par Takahata, en est le manifeste esthétique. Avec Miyazaki notamment, c’est le début d’une longue route commune faite d’alternances et d’innombrables collaborations, au fil des passages d’un studio à  l’autre. à  partir de Horus en effet, et jusqu’à  la fin des années 1970, Takahata va construire ses mises en scène en fonction de l’apport déterminant de Miyazaki. L’osmose artistique entre les deux hommes produit notamment Heidi (1974), série télévisée annuelle qui établit un nouveau standard de qualité dans le format télévisé, et se trouve à  l’origine d’un long cycle d’adaptations littéraires sous l’intitulé générique des ‘8cuvres classiques du monde entier.

L’affirmation d’un style propre

Achevés l’un et l’autre en 1981, Gauche le violoncelliste et Chie la petite peste marquent l’acte de naissance du style cinématographique de Takahata. Sans Miyazaki qui, désormais réalisateur de son côté, n’animera plus pour lui, Takahata explore, expérimente et fixe librement ses motifs, sa manière, qui trouveront leurs développements futurs dans ses grandes réalisations de la période suivante. Au-delà  d’un style graphique, c’est tout un traitement psychologique des personnages et une certaine idée de la dramaturgie que Takahata doit réinventer. La forte personnalité de Miyazaki avait jusque-là  produit une certaine caractérisation archétypale des personnages : comme le confirmeront ses longs métrages successifs, les protagonistes de Miyazaki ont ce caractère entier, universel et héroà¯que qui les rend si parfaitement aptes à  l’épopée et à  la féerie. En travaillant avec d’autres dessinateurs, Takahata explore une voie plus personnelle fondée, entre autres, sur la nuance psychologique. Gauche le violoncelliste, qui décrit l’itinéraire intime d’un jeune musicien vers la révélation de soi et l’ouverture aux autres, est à  ce titre un film charnière. Que la musique soit chronologiquement le premier motif dramaturgique choisi par Takahata, mélomane averti, pour explorer une voie plus personnelle n’est pas anodin. Pas plus que ne l’est l’énergique veine comique de Chie la petite peste, une comédie burlesque par laquelle Takahata aborde des motifs plus proches de son tempérament et de son parcours personnel. Sous des dehors graphiques qui nous appara’eetront caricaturaux, la mise en scène porte toute son attention à  la psychologie des personnages et à  la réalité sociale populaire qu’elle aborde avec un humour chaleureux qui évoque tout à  la fois le cinéma d’Ozu Yasujirô et celui de Jacques Tati.

Les quatre longs métrages réalisés à  ce jour par Takahata Isao au studio Ghibli, fondé en 1985 autour de Miyazaki, sont autant de jalons décisifs dans « l’invention du réel » en animation. L’homme est au centre de chaque film et l’animation un vaste champ d’exploration formelle. Dernier opus en date, Nos voisins les Yamada (1999), observe la vie quotidienne d’une prétendue « famille moyenne » japonaise avec poésie, humour et tendresse. Abandonnant le dessin traditionnel sur cellulo, Takahata se livre ici à  un retournement magistral, en livrant un film réalisé sur support numérique, et dont l’impression première est celle du caractère brut, vivant du dessin sur papier, avec ses épaisseurs de tracé changeantes au gré des coups de crayon. Il y a, dans ce choix de Takahata pour un « réalisme de la sensation », un véritable parti pris formel qui, loin de restreindre les possibilités d’expression du cinéma image par image, ouvre au contraire son champ d’investigation esthétique dans des directions qui, du Tombeau des lucioles à  Nos voisins les Yamada, ne sont diamétralement opposées qu’en apparence. Car le réalisme, chez ce cinéaste, ne se réduit pas à  un quelconque naturalisme qui consisterait à  imiter l’apparence de la réalité. Il ne bannit ni la comédie, ni la poésie, ni même l’onirisme. Mais chacun de ces motifs procède de la réalité : ils surgissent du quotidien et de son observation documentaire. à  ce titre, Takahata Isao se rapproche, dans ses motifs et sa manière, du cinéma d »bas Kiarostami qui démontre de façon exemplaire la nécessité d’organiser une sorte de fiction pour rendre compte du réel, ou, selon les propres mots du réalisateur iranien, de proposer « des mensonges destinés à  produire une vérité encore plus grande« . Et quel plus grand « mensonge » qu’un dessin animé ?

Filmographie

  • 1968 Horus, prince du soleil (Taiyo no oji, horusu no diaboken)
  • 1972 Les Aventures de Petit Panda (Panda kopanda)
  • 1973 Panda Kopanda, le cirque sous la pluie
  • 1981 Kié la petite peste (Jarinko chie)
  • 1981 Gauche le violoncelliste (Sero-hiki no Gôshu)
  • 1988 Le Tombeau des lucioles (Hotaru no haka)
  • 1991 Les Souvenirs ne s'oublient jamais
  • 1994 Pompoko (Heisel tanuki gassen pompoko)
  • 1999 Mes voisins les Yamada
  • 2009 Panda petit panda (scénario de Hayao Miyazaki)
  • 2014 Le Conte de la princesse Kaguya (Kaguya-hime no monogatari)
  • Séries TV (1964-1971 : Tôei Animation / 1972-1973 : A Production / 1974-1975 : Zuiyô, puis Nippon Animation)
  • 1964 Ken l'enfant loup (12 épisodes sur 86)
  • 1969 Gegege no Kitarô (1 épisode sur 65)
  • 1969 A-tarô le terrible (9 épisodes sur 90)
  • 1971 Gegege no Kitarô (2ème série, 1 épisode sur 52)
  • 1971 L'Equipe de baseball des Apaches (3 épisodes sur 26)
  • 1972 Lupin III (16 épisodes sur 23)
  • 1973 Willy Boy (1 épisode sur 52)
  • 1974 Heidi (52 épisodes)
  • 1975 Un chien des Flandres (1 épisode sur 52)

Mise à jour le 27 octobre 2014

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Bibliographie

Réflexions au fil de mes réalisations, Isao Takahata, Tokyô, Tokuma Shoten, 1991 (vo.1), 1999 (vol.2).
Gauche le violoncelliste, Kawa-Topor Xavier et Nguyên Ilan, Cahier de notes sur Gauche le violoncelliste, édité dans le cadre du dispositif "École et cinéma", février 2003
Portrait d'un cinéaste sous l'arbre, Catalogue de la 1ère édition de festival de cinéma jeunes publics en Poitou-Charentes, du 4 au 11 novembre 2002.
Nouvelles images du Japon, films d'animation et cinéma numérique, Catalogue du festival Forum des images, 1999 et 2001.
AnimeLand, hors-série n°3 sur Takahata, Miyazaki et le studio Ghibli, Paris, janvier 2000.
Catalogue de la 1ère édition du "Festival Internazionale del Cinema d'Animazione", Chiavari, Italie, du 21 au 25 septembre 2004

Vidéographie

Le Tombeau des lucioles
DVD. Distribution ADAV n° 31596. Ed. collector N° 42982
Mes voisins les Yamada
DVD. Distribution ADAV n° 36860

Webographie

Le tombeau des lucioles, dossier réalisé par Anne HENRIOT, professeur de lettres et de cinéma, sur le site du CNDP