RAY Satyajit

Compositeur, Écrivain, Réalisateur

Biographie

Né dans une famille aisée de Calcutta, d’un père écrivain et poète majeur de la littérature bengalie (Sukumar Ray), S. Ray reçoit une bonne éducation, en héritier de la Renaissance bengalie. Il étudie au Presidency college, avant de rejoindre l’université de Visva-Bharati, fondée par le poète Rabindranath Tagore à Santiniketan.

D’abord maquettiste publicitaire, il fonde en 1942 un ciné-club à Bombay, puis la Calcutta Film Society en 1947 : cinéastes américains comme européens y sont projetés, notamment les néo-réalistes qui font forte impression. C’est la rencontre du cinéaste français Jean Renoir, lors du tournage en Inde du film Le Fleuve et le visionnage du film italien néo-réaliste Le Voleur de bicyclette, lors d’un voyage à Londres, qui le décident à se lancer dans la réalisation cinématographique, alors qu’il exerce le métier d’illustrateur dans une maison d’édition.

Inspiré par le roman Pather Panchali de Bibhutibhushan Bandopadhyay, il décide d’en faire un film et le tourne en décor réel, faisant appel à des amis pour tenir les rôles d’acteurs, et le finançant tout seul. À court de fonds, il obtient un prêt du gouvernement du Bengale ce qui lui permet d’achever le film. C’est un succès tant artistique que commercial, et Ray reçoit un prix en 1956 au Festival de Cannes, faisant découvrir au monde l’industrie cinématographique indienne.

Le cinéma de S. Ray est réaliste ; ses premiers travaux sont pleins de compassion et d’émotion ; son travail postérieur est plus politisé et parfois cynique, mais il y infuse toujours son humour typique.

Ray a réalisé 37 films, parmi lesquels des courts et des longs métrages ainsi que des documentaires. Le premier film de Satyajit Ray, La Complainte du sentier, remporta onze distinctions internationales, dont le prix du document humain au Festival de Cannes 1956. C’est le premier volet de la trilogie d’Apu, qui sera suivi par Aparajito (L’Invaincu) et Apur Sansar (Le Monde d’Apu). Ray a exercé au cours de sa vie un large éventail de métiers, dont l’écriture de scénarios, le casting, la composition musicale de bandes originales, le tournage, la direction artistique, la conception et la réalisation de ses propres génériques et affiches publicitaires… En dehors du cinéma, il était écrivain, éditeur, illustrateur, graphiste et critique de cinéma. Il a remporté de nombreuses récompenses au cours de sa carrière, dont un Oscar pour son œuvre en 1992. Il a été décoré également de la Bharat Ratna, la plus haute distinction de l’Inde en 1992.

« Ne jamais avoir vu le cinéma de Ray, c’est comme vivre sur cette planète sans voir le soleil, ou la lune. » Akira Kurosawa

Filmographie

Longs-métrages
1955 : La Complainte du sentier (Pather Panchali)
1956 : L'Invaincu (Aparajito)
1958 : La Pierre philosophale (Parash Pathar)
1959 : Le Salon de musique (Jalsaghar)
1959 : Le Monde d'Apu (Apur Sansar)
1960 : La Déesse (Devi)
1961 : Rabindranath Tagore (en) (documentaire)
1961 : Trois Filles (Teen Kanya)
1962 : Kanchenjungha (en)
1962 : L'Expédition (en) (Abhijaan)
1963 : La Grande Ville (Mahanagar)
1964 : Charulata
1965 : Two (en) (court-métrage)
1965 : Le Saint (Mahapurush)
1965 : Le Lâche (Kapurush)
1966 : Le Héros (Nayak)
1967 : Le Zoo (en) (Chiriyakhana)
1969 : Les Aventures de Goopy et Bagha (Goopy Gyne Bagha Byne)
1970 : Des jours et des nuits dans la forêt (Aranyer Din Ratri)
1971 : Sikkim (film) (en) (documentaire)
1971 : L'Adversaire (Pratidwandi)
1971 : Seemabaddha (en) (Seemabaddha)
1972 : The Inner Eye (en) (documentaire)
1973 : Tonnerres lointains (Ashani Sanket)
1974 : Sonar Kella (en) (Sonar Kella)
1976 : Bala (en)
1976 : Jana Aranya (en)
1977 : Les Joueurs d'échecs (Shatranj Ke Khilari)
1979 : Le Dieu éléphant (Joi Baba Felunath)
1980 : Le Royaume des diamants (Heerak Rajar Deshe)
1981 : Pikoo (en) (court-métrage)
1984 : Délivrance (Sadgati) (téléfilm)
1984 : La Maison et le Monde (Ghare Baire)
1987 : Sukumar Ray (en) (documentaire)
1990 : Un ennemi du peuple (Ganashatru)
1990 : Les Branches de l'arbre (Shakha Proshakha)
1991 : Le Visiteur (Agantuk)

Courts métrages de fiction
1964 : Two
1980 : Pikoo

Courts et moyens métrages documentaires
1961: Rabindranath Tagore
1971 : Sikkim
1972 : L'oeil intérieur (The Inner Eye)
1976 : Bala
1987 : Sukumar Ray

Outils

Cent ans de cinéma indien
Le cinéma indien a fêté « ses » cent ans de cinéma en 2013 : même si le Cinématographe Lumière a été présenté dès 1896 à Bombay, que des opérateurs indiens ont rapidement filmé leurs propres bobines et que des salles de projection furent ouvertes dès le début du XXe siècle, c'est la date de la projection du premier long métrage indien de fiction, avril 1913, qui a été retenue pour marquer la naissance d'un cinéma qui allait devenir l'un des plus productifs du monde (un millier de films par an environ aujourd'hui encore). Ce premier film, Raja Harishchandra, a été réalisé par Dadasaheb Phalke. Inspiré du Mahabharata, il marque tout autant la « naissance » du cinéma national que l'affirmation d'un certain cinéma indien, ancré dans la culture du pays, épousant la cause nationale, réalisé à Bombay en langue hindie, la langue officielle et dominante de l'Inde, devant les vingt-et-une langues régionales. Le cinéma hindi auquel les commémorations du centenaire font la part belle, au détriment des œuvres réalisées dans d'autres régions (et d'autres langues), reléguées aux marges d'une histoire qui reste à écrire... Car comme s'interroge Amandine d'Azevedo dans un article publié dans les Cahiers du cinéma en février 2013 : « Existe-t-il une véritable histoire du cinéma indien ? Est-il possible de le portrait de ce qui se dérobe vues la masse et l'extrême hétérogénéité de cette production ? (...) On connaît une période, un région, une forme, mais la maîtrise de tous « ces » cinémas indiens demeure une illusion. »

Face à l'hégémonie du cinéma hindi, à la puissance économique de son industrie, les cinémas du Bengale, du Kerala, de Tamil Nadu ou d'autres régions peinent depuis de nombreuses décennies à se faire connaître et à incarner également le cinéma indien.

Quelle place occupe donc Satyajit Ray, cinéaste bengali qui est toujours resté fidèle à la langue de sa région dans cette histoire ? Marginale, sans aucun doute, hier comme aujourd'hui, tant par ses origines que par l'esthétique de son œuvre, quand bien même il est certainement le cinéaste indien leplus connu dans le monde, l'un des seuls à trouver une place dans les histoires du cinéma mondial.

Les années de formation
Satyajit Ray nait en 1921 à Calcutta (Inde britannique, à cette époque) au sein d'une famille d'intellectuels liée au mouvement de Renaissance bengalie, qui prône en particulier les échanges culturels entre l'Orient et l'Occident et   se   montre   progressiste   en de   nombreux   domaines (pour l'émancipation de   la   femme, l'affranchissement des dogmatismes religieux ou du système des castes...). Il devient publiciste au terme d'une formation au cours de laquelle le cinéma a occupé une place importante. Spectateur assidu, attiré par le cinéma américain de Capra, Ford, Huston ou les œuvres d'Eisenstein, il fonde en 1947 la Calcutta Film Society, qui lui permet de faire venir certains de ces réalisateurs en Inde, le temps d'une conférence. Sa rencontre avec Jean Renoir, sur les repérages puis le tournage du Fleuve, au tournant des années 1950, ainsi que la découverte du néoréalisme italien seront déterminantes : il décide de devenir réalisateur, désormais conscient qu'il est possible de tourner un film selon ses propres critères en s'affranchissant des règles établies par l'industrie cinématographique de son pays. Il bénéficie de circonstances historiques particulièrement favorables puisque les années 50 voient le cinéma bengali traverser une période difficile, après avoir rivalisé avec le cinéma hindi jusqu'à l'indépendance de 1947. La partition du Bengale (en deux parties : la province de l'union indienne du Bengale et l'actuel Bangladesh) lui fait perdre une part importante de son audience, l'affaiblit, et bouleverse suffisamment son organisation pour que de jeunes réalisateurs puissent avoir l'opportunité d'imposer leurs propre mode de fonctionnement : Satyajit Ray mais aussi Ritwik Ghatak ou Mrinal Sen, tous nés au début des années 20 dans cette province à la grande richesse culturelle sauront tirer partie de cet espace de liberté.

La Complainte du sentier, L'Invaincu, Le Monde d'Apu : la « trilogie d'Apu »
Tourné sur plusieurs années en raison de difficultés financières (sans producteurs, Ray a investi une part de sa fortune personnelle et le film ne fut   achevé que grâce à l'apport tardif de fonds du gouvernement du Bengale, après une intervention de John Huston, auquel Ray avait montré quelques séquences et l'intérêt du Museum of Modern Art de New York qui préparait une exposition sur les arts indiens –lire également, dans ce dossier, la partie intitulée : « un cinéma indépendant   pour une parole libre sur le monde »), La Complainte du Sentier est une adaptation d'un roman de Bibhuti Bushan Bannerjee très populaire en Inde, publié en 1932. Finalement achevé en 1955, le film est accueilli avec enthousiasme à l'étranger, à New York, puis au Festival de Cannes de 1956, où il reçoit le Prix du Meilleur document humain, mais également au Bengale. Le succès tant critique que financier lui permet de tourner dès 1956 la suite de ce qui deviendra la « trilogie d'Apu » :

L'Invaincu, lui aussi couronné d'un prix à l'étranger (Lion d'or au festival de Venise de 1957) mais qui ne rencontrera pas en Inde le même succès, le film y suscitant même quelques polémiques quant au comportement des personnages. Trois ans après ce deuxième volet, Le monde d'Apu achève le récit de la vie d'Apu, mené depuis sa naissance et son enfance, en pleine campagne (La Complainte du sentier, dont l'action est située dans les années 1910), jusqu'aux années 1930 où Apu, désormais adulte, fixé à Calcutta, doit affronter son destin après avoir perdu tous les membres de sa famille ainsi que sa femme, le laissant   seul avec un enfant en bas âge. Entre ces deux volets, L'Invaincu nous conte une partie de son enfance (à Bénarès) puis son adolescence, son départ pour Calcutta et sa séparation avec sa mère, laissée seule à la campagne alors que ses brillants résultats scolaires et une bourse d'étude lui permettent de prendre son envol. Dès ces premiers films, plastiquement magnifiques, Satayajit Ray affirme une esthétique très personnelle combinant l'influence de ses maîtres revendiqués (Ford, Renoir...) à une approche poétique profondément indienne de son pays, dans son approche du temps, par exemple. Son approche «néoréaliste »   de l'Inde, le traitement très fin de la psychologie de ses personnages, bien éloignés des canons imposés par l'industrie locale, le singularisent de ses compatriotes et lui apportent d'emblée une reconnaissance internationale.

Une œuvre à la fois profondément indienne et universelle
Il tourne en 1958, avant le dernier volet de « la trilogie d'Apu » donc, Le Salon de musique, peinture sensible d'un aristocrate bengali décadent s'accrochant aux vestiges d'un monde qui disparaît, sacrifiant sa fortune pour l'amour de la musique (et des danses traditionnelles) et des réceptions données dans son salon. Le film contribuera à établir durablement Ray sur les cartes du cinéma mondial. Il est également pour son auteur l'occasion de mettre la musique au cœur d'une de ses œuvres ; elle joue un rôle essentiel dans le vie de Ray, cinéaste, graphiste, écrivain   (il est l'auteur de romans policiers et de science fiction à succès) mais aussi musicien, compositeur de la musique de la plupart de ses films à partir des années 1960. Satyajit Ray réalisera, en trente-cinq ans environ, quelques court métrages et une trentaine de longs métrages -pour l'essentiel de fiction mais aussi documentaires- au fil desquels, comme le remarque Charles Tesson, le thème du passage occupe une place centrale : passage d'un âge à un autre, d'une époque à une autre, de la campagne à la ville, de l'univers familial au monde extérieur... Certains acteurs, comme Soumitra Chatterjee, qui interprète Apu adulte, l'accompagneront tout au long de sa carrière dans sa volonté de saisir le temps qui passe et les mutations de la société indienne et bengalie en particulier, à laquelle il consacrera toute son œuvre. Au   sein   de   cette   œuvre   d'apparence   très   uniforme,   il   réalisera   toutefois   aussi bien   des portraits psychologiques (Charulata, 1964), des films sur sa ville de Calcutta, des films pour les enfants (Les Aventures de Goopy et Bagha, 1968, d'après des contes écrits par son grand-père), des films historiques ou des études de l'Inde contemporaine, en particulier à la fin de sa vie (Le Visiteur, 1991). Sujet à des problèmes cardiaques depuis les années 1980, il meurt en 1992 à Calcutta.

Autour du cinéaste :
http://www.cineplus.fr/mth-cine/cid1280994-cycle-satyajit-ray-sur-cine-classic.html